A l’heure où Eric Besson, le ventre usé par sa marche triomphante, abandonne un ministère de l’immigration qui ne lui survivra pas, le temps est enfin venu d’en dire un peu de bien. Car il serait injuste de laisser tomber dans l’oubli un glorieux épisode de sa carrière, seulement connu d’un petit cénacle de juristes. Aujourd’hui, force est de reconnaître qu’en vingt-deux mois passés à remplir ses quotas d’expulsions, Eric Besson aura au moins réussi une chose de bien. Même si, bien entendu, il ne l’a pas faite exprès. Petit rappel des faits et de la procédure.

 

Lundi 14 juin 2010, le cabinet d’Eric Besson diffuse une circulaire NOR IMIN1000105C, destinée à ” harmoniser les pratiques dans les centres et les locaux de rétention administrative et lors de l’exécution des escortes “. Ce texte destiné aux préfectures énonce les règles applicables aux étrangers en attente de reconduite à la frontière. Comme tout document confidentiel qui se respecte, celui-ci sera connu et analysé par les associations de défense des étrangers bien avant que les fonctionnaires qui en étaient les destinataires officiels ne trouvent le temps et la curiosité d’y jeter un coup d’œil. ” Personne ne nous en avait jamais parlé “, admettront une semaine plus tard, légèrement penauds, les représentants des préfets et les escortes, pour qui la circulaire d’Eric Besson apparait comme une divine surprise.

Un chapitre intitulé ” L’usage des menottes et des entraves ” a attiré particulièrement l’attention de la permanence lilloise Avocats en droit des étrangers. Le ministre y rappelle le principe : le port des menottes doit rester ” exceptionnel ” ; et la pratique : la décision est prise au cas par cas par le chef d’escorte, en fonction d’éléments ” sérieux et concordants ” ; le cas échéant, elle est mise en oeuvre de manière à permettre ” l’exercice effectif de ses droits ” par le retenu et en ” respectant sa dignité “.

Depuis des années, c’est ce que les avocats plaidaient – en pure perte – devant les juridictions civiles. Jusqu’alors, les Juges des libertés et de la détention ne trouvaient rien à redire au menottage systématique des étrangers, qui sortaient des commissariats et des centres de rétention avec les ” pinces “, voyageait sur la banquette arrière avec les ” bracelets “, et arrivaient au tribunal en files indiennes, attachés deux par deux par des ” alliances “.

Seuls les abus les plus criants étaient – parfois – sanctionnés par certains magistrats. Ce fût le cas par exemple pour un retenu menotté dans le dos pendant les trois heures de son transport en panier à salade, privé de son droit à communiquer (demandez donc à Houdini – sur la photo – de passer un coup de fil dans de telles conditions). Ou encore pour une personne infirme qui avait trouvé un tantinet humiliant de se voir accrocher une entrave autour de son bras handicapé…

 

Ce samedi 19 juin 2010 à la barre du tribunal de Lille, Mlle T., mère de famille malienne de 38 ans, explique avec des mots tout simples ce qu’elle a ressenti lorsqu’après sa garde à vue, elle a été menottée pendant une heure ” comme une criminelle “. Les vingt autres étrangers qui comparaissent ce week-end devant le Juge des libertés et de la détention ont tous pareillement été menottés, alors qu’ils étaient seulement placés en situation de ‘ rétention administrative ‘.

Le magistrat lillois se livre alors à un examen au cas par cas, qui a fait défaut jusqu’alors. Seules sont autorisés les rétentions des étrangers dont le comportement ou les antécédents rendaient vraisemblables un risque de fuite, ou susceptibles d’être considérés comme dangereux pour eux-mêmes ou autrui. Tous les autres sont libérés, en raison des atteintes portées à leurs droits par le menottage.

La préfecture du Nord, déchirée entre les nouvelles instructions de son ministre et ses bonnes vieilles petites habitudes, entend évidemment écarter les premières afin de conserver les secondes. Elle interjette appel de toutes les ordonnances de remise en liberté, en exposant devant la Cour une espèce de ‘ vade-mecum du menotteur intelligent ‘, qui peut se résumer ainsi : ” On fait tout qu’est-ce qu’a dit le caporal. On se fiche de tout qu’est-ce qu’a écrit le maréchal Besson ! “

Aux termes d’une surprenante ordonnance, la Cour d’appel de Douai donne d’abord raison à l’administration. Les escortes peuvent menotter à tout va ! Chaque policier fait fait fait, c’qui lui plaît plaît plaît… Mais quelques jours plus tard, à Nîmes, Paris, et Douai notamment, les juges reprennent l’analyse ministérielle : l’usage des menottes doit rester l’exception.

 

Ce qu’on retiendra de l’histoire, c’est que pendant plusieurs jours, à travers tout le pays, tous les juristes attachés au respect des droits de l’homme ont défendu mordicus la position d’Eric Besson. Sa circulaire du 14 juin 2010 restera dans les annales : outre qu’elle a permis dans les semaines qui ont suivi d’obtenir la remise en liberté de dizaines de sans-papiers (ce qui n’était pas exactement le but recherché), elle a eu pour autre grand mérite de beaucoup faire rire dans les prétoires.