Sur son célèbre tableau La trahison des images, Magritte avait dessiné une pipe et inscrit en légende : ” Ceci n’est pas une pipe “. L’artiste entendait montrer que, même peint de manière très réaliste, un tableau qui représente une pipe n’est pas une pipe, mais seulement l’image, la reproduction de celle-ci.
De la même façon, le 14 juillet 2010, la signature figurant sur l’ensemble des actes dressés par le service ” Etrangers ” de la préfecture du Nord n’était pas une signature, mais seulement une reproduction de celle-ci.
La supercherie sera révélée deux jours plus tard, lorsque le dossier de la préfecture parviendra à la permanence ” Droit des étrangers “. L’avocat d’astreinte est un spécialiste : sur sa table de chevet figurent en bonne place un C.E.S.E.D.A., un C.J.A., et Le secret de la Licorne. Pour mémoire, c’est en superposant à la lumière d’une lampe les trois parchemins du vaisseau La Licorne que Tintin était parvenu à percer le secret du trésor de Rackam le Rouge. S’inspirant de la méthode du célèbre enquêteur, l’avocat examine par transparence les paraphes figurant sur cinq documents du dossier préfectoral, censés correspondre aux signatures du directeur adjoint à l’immigration et l’intégration (bien connu des lecteurs de ce blog). Les seings sont rigoureusement identiques, à la fraction de millimètre près : ce n’est pas une signature, c’est une plaisanterie.
Hélas, le juge des libertés et de la détention, qui n’a pas le même compas dans l’oeil, fait une lecture différente des documents, et croit pouvoir déceler des variations dans la forme des courbes et la longueur des traits.
Un appel est aussitôt interjeté. Pour la clarté de la démonstration, la Cour reçoit un photo-montage des cinq signatures, reproduits par transparence en superposition. A l’examen de ce document, aucun doute n’est plus permis.
C’est regrettable, mais cette preuve irréfutable de la falsification n’aura pas l’heur de rejoindre le dossier du premier président de la Cour d’appel. L’ordonnance confirmative ne vise pas cette pièce, et fait au contraire grief à l’appelant de ne produire aucune preuve du caractère frauduleux des signatures. Et comme le magistrat d’appel, pas plus que le premier juge, ne sont portés à imiter Tintin, le malheureux étranger reste enfermé en centre de rétention sur la foi d’un tampon humide, voire d’une photocopieuse. En tout cas certainement pas sur le fondement d’une signature manuscrite telle que prévue par l’article 4 2° de la loi du 12 avril 2000 et l’article R552-3 du CESEDA.
Le délégué du premier président de la Cour d’appel a d’ailleurs cru utile de préciser qu’à son avis, même un tampon encreur imitant la signature aurait parfaitement fait l’affaire… sauf si l’étranger était parvenu à prouver que quelqu’un d’autre avait utilisé ce cachet (démonstration pas forcément des plus facilissimes). Dans la droite ligne de cette motivation… étonnante (au sens étymologique), même si l’étranger était parvenu à établir que tous les paraphes du dossier avaient été réalisés à l’aide d’une photocopieuse, il lui aurait encore fallu prouver que quelqu’un d’autre que le prétendu signataire avait appuyé sur le bouton vert de la photocopieuse…
La juridiction administrative constitue la dernière chance de faire triompher le droit. L’avocat de permanence s’y transporte muni d’un assemblage des documents litigieux, réalignés et scotchés, ainsi que d’une imposante… lampe de chantier. Lors de sa plaidoirie, il entreprend d’éclairer le tribunal en même temps qu’il allume sa lanterne. Sous les feux de la torche projetés sur les papiers superposés et encollés, aucun doute ne subsiste : les prétendus paraphes ne sont bien que de pâles reproductions d’une véritable signature.
Pour que la démonstration soit parfaite, sont également produits à la même audience les paraphes du même signataire, apposés dans un autre dossier le lendemain de la fête nationale (qui est comme chacun sait un jour férié). Bien évidemment, il n’est pas deux seings identiques. Tout graphologue vous le confirmera, il est pratiquement impossible de reproduire exactement la même griffe.
A la question : le préposé à la photocopieuse peut-il décider de son propre chef d’expulser un étranger, le tribunal administratif répondra par la négative : ” Les décisions attaquées, en date du 14 juillet 2010, comportent une signature parfaitement identique dont tout porte à croire qu’elle n’est pas authentique ; il y a dès lors lieu de considérer que ces décisions n’ont pas été signées par la personne régulièrement habilitée à y apposer sa signature du fait de la délégation dont elle dispose “.
La réponse apportée par le tribunal administratif n’était pas acquise : après tout, le juge civil avait estimé qu’il pouvait valablement être saisi par un tampon humide. Et pourquoi pas l’empreinte de la papatte de Milou, mille millions de mille sabords ! § # & ?