Jusqu’alors, lorsqu’un membre de la communauté Rom occupait illégalement un terrain communal ou privé, il en était expulsé par l’huissier ou la police, et l’affaire s’arrêtait là.

Mais depuis le discours présidentiel du 30 juillet 2010 au bistrot du commerce à la préfecture de Grenoble, la chasse aux Roms est ouverte. Par excès de zèle, afin de « mettre un terme aux implantations sauvages de campements de Roms », les préfectures s’attachent maintenant non seulement à expulser du terrain les personnes qui l’occupent illégalement, mais également à les expulser du territoire où elles résident légalement.

Toute l’astuce consiste, à chaque réquisition de la force publique par le propriétaire des lieux, à lui envoyer la Police de l’Air et des Frontières (P.A.F.) Vous avez demandé un garde-champêtre ? On vous expédie Expulsator !

Réquisitionnés le 24 août 2010 à l’aube pour prendre en charge des « nomades » dans un sous-bois de Villeneuve d’Ascq, le petit coeur des gros durs de la P.A.F. vacille. Face à eux : cinq adultes, dont une femme enceinte, et sept enfants. En Roumanie, les revenus mensuels de ces familles oscillent entre 30 €, avec trois enfants à charge, et 160 €, avec deux enfants. Ils n’ont pas de voitures de forte cylindrée – d’ailleurs, personne n’a de véhicule. Et aucun n’a volé de poule. Leurs cahutes ont été bâties avec des matériaux de récupération. Et la préfecture relève avec gourmandise qu’ils vivent « de surplus de poubelles » (sic).

Tout ce beau monde est placé en garde à vue pour « occupation illégale d’un terrain sans droit ni titre ». Cette infraction ne constitue qu’une simple contravention de « petite voirie », tout au plus sanctionnée par la peine d’amende prévue à l’article R.116-2 du Code de la voirie routière.

Pour ces faits somme toute mineurs, le parquet ne trouve rien à redire au fait que la Police de l’Air et des Frontières place en garde à vue des familles entières pendant une demi-douzaine d’heures. Ni ne remarque que l’intérêt essentiel de cette manoeuvre est de donner du temps à la préfecture pour préparer les décisions de reconduite à la frontière.

A la grande frayeur des Roumains, à la fin de leur garde à vue, leurs passeports et cartes d’identité sont confisqués. Il s’agit manifestement d’une voie de fait, l’article L.611-2 du CESEDA n’étant pas applicable. Interrogée par la presse, la préfecture démentira avoir jamais confisqué les papiers. Sans blague ! Et elle va sans doute démentir leur avoir remis un accusé de réception des papiers confisqués ?

Pour faire bonne mesure, les Roms sont ensuite conduits à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), et invités à y déposer une demande d’aide au retour volontaire dans leur pays… L’élément cocasse est que plusieurs d’entre eux ont déjà réalisé une telle démarche, mais qu’il leur avait été répondu à l’époque qu’ils devaient attendre l’échéance des trois mois de séjour en France afin d’être vraiment en situation irrégulière.

Les Roumains se trouvent-ils maintenant, en raison des arrêtés de reconduite à la frontière, en infraction à la législation sur les étrangers ? Rien n’est moins sûr.

Des militants associatifs ont assisté au démantèlement du camp, et conseillent les Roms pour saisir, pendant le très bref délai imparti (48 heures), le tribunal administratif d’une requête en annulation des décisions préfectorales.

Est-ce que l’occupation illégale d’un terrain constitue, ainsi que l’allégue la préfecture, un trouble à l’ordre public qui justifie une reconduite à la frontière ? A cette question, la réponse apportée par la justice administrative est bien connue, et dénuée d’ambiguïté : « une occupation illégale, en l’absence de circonstances particulières et alors même que le préfet a fait état d’atteintes à la salubrité publique, ne suffit pas à elle seule à caractériser l’existence d’une menace à l’ordre public ». En effet, tout fonctionnaire compétent vous le dira, cette notion d’ordre public s’entend « en dehors du trouble social que constitue toute infraction à la loi », de « l’existence d’une menace réelle, actuelle, et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ».

Nous en sommes très loin…

L’édification d’abris de fortune par les familles Roms s’est faite sous le haut patronage d’étudiants de l’école d’architecture de Villeneuve d’Ascq, qui ont spontanément prêté main forte à leurs voisins roumains afin de leur prodiguer des conseils en matière de maîtrise d’ouvrage. Quant au propriétaire du terrain, qui avait requis le 29 juillet 2010 la force publique afin d’obtenir l’expulsion des occupants sans droit ni titre (mais c’était juste avant le « discours de Grenoble » de Nicolas Sarkozy), il a finalement annoncé qu’il gelait toute procédure, s’estimant « instrumentalisé » par la préfecture qui ne comprenait pas le mot « expulsion » au sens où lui-même l’entendait.

Le tribunal administratif de Lille a annulé le 27 août 2010 l’ensemble des arrêtés de reconduites à la frontière. Les étrangers et leurs enfants cesseront de vivre terrés dans leurs abris de misère. Et la police devra leur rendre leurs papiers. Les Roms partiront s’ils le veulent. Ils resteront s’ils le veulent. Mais ce sont eux qui décideront. Et pas un préfet hors la loi.