Ils sont trois Egyptiens à comparaitre devant le juge des libertés et de la détention pour une seconde prolongation de leur rétention. L’avocat de permanence, qui se présente pour les assister, se heurte a un refus poli : ils ont fait appel aux services d’un avocat personnel. Etonnement du permanencier : leur avocat n’a pas jugé utile de prévenir le greffe, n’a pas davantage demandé communication des pièces, et n’est toujours pas arrivé alors que l’audience est déjà commencée. “ Il viendra. Inch’Allah ! 

Effectivement, leur Conseil arrive une demi-heure après le début de l’audience, trottine gentiment chez le greffier pour retirer un double du dossier, puis consulte… un interprète pour se faire expliquer la procédure de prorogation, qu’il ne connaît visiblement pas. Voilà deux semaines que les Egyptiens ont choisi un avocat, c’était plus que le temps nécessaire pour se renseigner. Placidement, l’avocat se plonge alors dans l’étude de la centaine de pages des trois dossiers, ce qui lui prend dix minutes en tout. Avec la conscience du devoir accompli, il se consacre alors… à la lecture du journal qu’il a acheté au kiosque de la gare du Nord. Un de ses clients égyptiens passe devant lui, et l’interroge d’un signe de main, les yeux éperdus d’espoir : “ Est-ce que l’affaire se présente bien ? ” Son avocat le rassure en hochant la tête d’un geste apaisant. D’ailleurs, s’il lit son journal, n’est-ce pas que tout va pour le mieux ?

Lorsqu’arrive son tour, il commence sa plaidoirie en se gaussant des confrères spécialisés qui viennent de le précéder à la barre, assurant le magistrat qu’il n’aura pas, pour sa part, l’inconvenance de débattre de la valeur probante des pièces du dossier (qu’il a parcouru en diagonale) ou de la régularité de la procédure (qu’il ne maîtrise pas). Non, il préfère s’interroger à voix haute sur l’intérêt de maintenir ses clients en rétention quinze jours de plus (réponse logique : parvenir à les expulser dès l’obtention d’un laissez-passer, pardi !)

Et l’avocat de terminer ses trois minutes de plaidoirie en proposant au juge… de revenir dans quinze jours, au prochain débat, pour vérifier ensemble si cette prolongation aura servi à quelque chose, ou si une nouvelle période est nécessaire. Le juge et le greffier font de grands yeux, et l’escorte rigole en coulisses de ce professionnel du droit qui ne sait pas que les prolongations sont limitées au nombre de deux… et que c’était donc pour ses clients l’ultime chance d’être libérés.

Les trois Egyptiens voient leur rétention prolongée. Leur conseil n’a pas vu que les trois requêtes du préfet étaient irrecevables ab initio, en raison de l’incompétence de l’auteur de l’acte. Cette cause de nullité apparaissait pourtant en bonne place dans les pièces du dossier. Mais pour le savoir, il aurait fallu ne pas passer son temps à lire son journal.