Depuis plusieurs années, la juridiction du premier président de la Cour d’appel décide fréquemment de tenir à l’écart de ses audiences les avocats des étrangers. Notamment (mais pas seulement) lorsque le retenu a été libéré par le premier juge, et que le parquet ou le préfet ont formé appel. Afin de faire taire les critiques, le greffe a pris l’habitude de convoquer d’office l’avocat de permanence à la Cour d’appel, qui a pour principal avantage d’être immédiatement disponible, puisque d’astreinte au sein de la juridiction. Il est vrai qu’il y a une demi-heure de route entre les juges de première instance et d’appel.

L’un des délégués du Premier Président, adulateur de cette pratique apparemment unique en France, se défendait de chercher ainsi à organiser l’audience dans les plus brefs délais (il dispose de 48 heures chrono), ou à limiter les débats au strict minimum (par exemple, en répondant uniquement sur les deux seuls moyens repris dans l’ordonnance déférée – pour mieux les rejeter – alors qu’une demi-douzaine d’autres moyens avaient été développés par le précédent avocat). Selon ce magistrat, la désignation d’office de l’avocat de permanence à la Cour, en lieu et place de celui qui a obtenu la remise en liberté, viserait à [début de citation] “préserver les droits de la défense” [fin de citation].

Peu importe que l’étranger ait choisi son avocat, ou souhaité conserver celui qui l’avait assisté en première instance ; ou encore que son Conseil ait bien précisé dans son appel qu’il souhaitait assister son client devant la Cour. Peu importe que les textes () soient dénués d’ambigüité. Peu importe que la Cour de cassation se soit prononcée dans un sens contraire de longue date, et à de multiples reprises (, , ). Peu importe finalement le principe du libre choix de l’avocat, consacré par plusieurs conventions internationales.

Imaginez un instant que dans d’autres matières civiles, la Cour décide de procéder de la même manière. Par exemple pour des contentieux mettant en jeu des sommes d’argent considérables, instruites sous la forme de mesures urgentes avec des délais d’audiencement rapprochés. Le demandeur perd son procès, et interjette appel. Le défendeur n’en est pas prévenu, pas plus qu’il n’est convoqué à l’audience à la Cour, étant injoignable (il s’est offert des vacances pour fêter son succès). Mais le Premier Président choisit de ne pas contacter son avocat, et lui en désigne un autre à la place, qui interviendra à la demande expresse de la juridiction. Croyez-vous que le défendeur ne trouvera rien à redire à la manière dont se sont déroulés les débats, à l’issue desquels la Cour donnera, quasi systématiquement, raison à son adversaire ?… Et encore : ici, dans le cas d’étrangers, il ne s’agit pas d’une affaire de gros sous ; il s’agit ‘simplement’ de mesures privatives de libertés.

Imaginons maintenant que les appels correctionnels suivent le même sort, et soient dorénavant audiencés dans des conditions semblables. L’affaire serait évoquée ainsi : “ La partie civile est appelante. Nous l’entendrons donc en ses observations. De même que nous entendrons le ministère public, régulièrement informé de la tenue de l’audience. Le prévenu a été remis en liberté par le premier juge, et n’a pu être touché par la convocation. Nous ne l’entendrons donc pas. Nous n’entendrons pas davantage son avocat qui a obtenu sa relaxe en première instance, puisque nous en avons un de disponible dans cette enceinte.The show can go on.

Parfois, les décisions du Premier Président sont citées en exemple. Surtout d’ailleurs par l’administration préfectorale, qui se réfère à n’en plus finir à ces ordonnances qui prolongent la rétention des étrangers dans des proportions très sensiblement supérieures aux moyennes régionales et nationales (95% au dernier pointage, ce qui lui vaut le surnom de “chambre de la rétention“). Il est cependant curieux qu’une juridiction telle que le Premier Président, dont la fonction essentielle est de se prononcer sur la régularité des procédures qui lui sont déférées, prenne sa décision à l’issue d’une procédure d’appel dont la régularité elle-même est contestable.

Une dizaine de pourvois en cassation sont actuellement en cours à l’encontre des décisions prises par cette Cour d’appel. En cas d’annulation, des pans entiers de la jurisprudence patiemment élaborée par cette juridiction seraient à considérer comme nuls et non avenus, puisque surpris en violation des droits de la défense.

Plus préoccupant encore : la totalité des audiences tenues hors la présence de l’étranger et de son avocat de première instance pourrait alors faire l’objet de pourvois, puisque les délais de recours n’ont jamais commencé à courir faute de notification. Soit, au bas mot, quelques centaines de pourvois susceptibles de fleurir dans les années qui viennent, et autant d’annulations assurées d’éclore… Ce qui ferait joli.