Il est 21 heures et l’estomac de Monsieur M. gargouille.

Alors que ce ressortissant pakistanais se rendait le matin même à une convocation de la mairie d’Arfeuilles, la maréchaussée lui a lancé une invitation qui ne se refuse pas : « Gendarmerie nationale, contrôle des papiers. Veuillez nous suivre sans opposer de résistance. » C’était demandé si gentiment. A son arrivée à la caserne, bonne nouvelle : l’Etat français lui offrait le gîte et le couvert, une nuitée, voire deux si nécessaire. « Non, non, rien à régler, c’est pour nous : ça nous fait plaisir ! » Bref, Monsieur M. venait d’être placé en garde à vue pour infraction à la législation sur les étrangers.

Une petite audition à 11h30 (« Vous êtes en situation irrégulière, c’est ça ? ») ; une autre à 14h20 (« Votre passeport, vous êtes sûr que c’est un vrai ? ») ; un casse-croute à 14h45 pour le remercier de sa précieuse collaboration… Et zou ! transmission du dossier à l’administration, dans l’attente des instructions.

En préfecture, c’est l’heure de la sieste. Les gars du service « éloignement » traînent les savates en comptant les prises de la journée :
« Qu’est ce qu’il nous ramène encore Lafayette ? Un Pakistanais ? [soupir] Nous avons déjà serré six Irakiens aujourd’hui, couru après quatre Afghans, et laissé filer deux Indiens. Ca peut attendre demain. »

Donc, Monsieur M. patientera jusqu’au matin suivant. A la gendarmerie, on lui sert un petit café, extinction des feux et bonne nuit. Plus la peine de le nourrir : les auditions ont déjà eu lieu depuis longtemps. René Vigo, dans Les hommes en noir, livrait cet intéressant rappel historique : « Recherches faites, l’expression « se mettre à table » n’est pas autre chose que l’aveu obtenu par la faim. » En matière d’enquête sur un étranger en situation irrégulière, l’aveu est de toute façon dépourvu du moindre intérêt pratique : pas de papiers = pan pan. Et puisqu’au surplus Monsieur M. est déjà passé à table à midi, inutile de lui remettre le couvert le soir.

Pour tout dire, pendant la garde à vue d’un sans-papier, l’enquête (pouf ! pouf !) se limite à : 1) l’audition, pour aider la préfecture à remplir les trous de son arrêté de reconduite à la frontière ; 2) la perquisition (le cas échéant), pour récupérer le passeport qui facilitera l’embarquement dans l’avion ; 3) enfin un toilettage judiciaire destiné à faire accroire que les locaux de police/gendarmerie sont autre chose que l’antichambre des centres de rétention.

Le parquet, qui se défend de n’être qu’un service décentralisé du ministère de l’immigration, veille tout au long de la procédure à oindre des sacrements magistraux tous les actes prétendument réalisés sous son contrôle et sa direction. Seul les médisants s’étonneront que les gardes à vue d’étrangers en situation irrégulière donnent lieu à l’engagement de poursuites pénales dans moins de 1% des cas (soit plus de 99% de garde à vue pour rien), et que la décision du parquet de privilégier la voie administrative intervienne toujours pile-poil au moment où les enquêteurs réceptionnent la télécopie de placement en rétention pris par la préfecture (soit un pur hasard à 99%).

La garde à vue de Monsieur M. ne déroge pas aux règles habituelles aux procédures d’étrangers en situation irrégulière, inspirées par le théâtre classique : unité de temps (moins de 24 heures de garde à vue – quoiqu’il ne se passe généralement plus rien pendant les 20 dernières heures), unité de lieu (le local de police/gendarmerie : un cachot, une machine à écrire, un téléphone/fax), unité d’action (attendre l’arrivée de l’arrêté du placement en rétention).

Hélas pour les braves pandores, le juge des libertés et de la détention est particulièrement regardant sur le respect des droits des gardés à vue protégé par le Code de procédure pénale (CPP), et la cour d’appel veille également à « la dignité de tout être humain » garantie par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Le premier juge, constatant qu’il n’avait pas été proposé à Monsieur M. de s’alimenter de samedi 14h45 jusqu’à dimanche 12h30 (mis à part un café chaud), conclura à la violation de l’article 64 du CPP et ordonnera la remise en liberté de l’étranger.

Le procureur, qui aime garder la ligne et les prisonniers, interjettera appel (en pure perte, le Premier président confirmant). Devant la Cour, le parquet avait requis sans vraiment convaincre : « Une garde à vue, c’est pas compliqué : Vous me mettez un café et l’audition ! »