Lorsque vendredi 22 janvier 2010 au petit matin, 124 réfugiés kurdes de Syrie (57 hommes et 29 femmes, accompagnés de 38 enfants et nourrissons) sont découverts sur la grève d’un rivage corse, qui envoie-t-on leur porter secours et assistance : Kouchner, ancien spécialiste des boat-people ? ou Besson, nouveau spécialiste des charters ? La suite de l’histoire découlera de ce choix initial, de traiter sous l’angle strictement sécuritaire ce qui était à la base une question humanitaire.
Immédiatement arrêtés par la maréchaussée, les demandeurs d’asile sont conduits dans un gymnase où ils seront gardés jusqu’au lendemain matin. A quel titre ont-ils été privés de liberté pendant leurs premières vingt-quatre heures en douce France ? Nul ne le sait, et surtout pas les juges amenés à vérifier le respect des libertés individuelles : pas de procès-verbal de contrôle et d’interpellation le matin, pas de placement en garde à vue ni en local adapté pendant toute la journée.
Dans la nuit de vendredi à samedi, ils apprennent dans un demi-sommeil que « la France des droits de l’homme » a décidé de tous les réexpédier en Syrie. Sur les arrêtés de reconduite à la frontière, pré écrits et stéréotypés, seuls les noms sont rajoutés à la main, dans les espaces prévus à cet effet.
Première escale des charters militarisés qui décollent de Corse : les centres de rétention de Nîmes, Toulouse, Lyon, Marseille et Rennes (et la maternité pour une des femmes en fin de grossesse). Samedi midi, les réfugiés Kurdes sont enfin informés qu’ils ont des droits : celui de consulter un interprète, un médecin et un avocat ; et que l’administration est enfin disposée à prendre en compte leur demande d’asile. C’est un peu tard, soupirent a cappella les associations et les magistrats.
Menée par la fine fleur des avocats spécialisés en droit des étrangers, la défense soulève aux cinq coins de l’hexagone une vague de nullités. Elle reçoit le soutien inhabituel du ministère public, venu rappeler à la barre que « l’ordre public commande le respect des règles de droit par tous ». Dans un attendu bien ciselé, un juge des libertés et de la détention rappelle l’esprit des lois : « Dès lors que l’autorité administrative a fait le choix de traiter la présente procédure sous l’angle d’une procédure d’étranger en séjour irrégulier, il importe évidemment que celle-ci respecte intégralement les règles procédurales applicables ; tel n’est manifestement pas le cas en l’espèce ». Sans merci, les magistrats annulent l’ensemble des procédures à Nîmes (M. A, Mme AH. et M. H.), Toulouse, Lyon, Marseille et Rennes.
Après Calais et la Manche, Bonifacio et la Méditerranée. A nouveau un 0% pointé pour le camarade Besson.
L’administration, adepte de la méthode Coué et experte en vessies et lanternes, tentera a posteriori de justifier son choix initial (« j’expulse d’abord, je discute ensuite »).
« Toutes les procédures légales ont été respectées », protestera tout d’abord le ministre… tout en annonçant l’abrogation de tous les arrêtés. Quant à ceux qu’il refusait d’annuler, les tribunaux administratifs de Nîmes et Toulouse s’en chargeaient bien mieux, puisque les juridictions relevaient les erreurs de droit commises par l’administration, alors que son ministre n’en avait vu aucune.
Quant à la décision d’enfermer les réfugiés kurdes dans l’attente de leur reconduite en Syrie : « Nous ne disposions pas immédiatement de 124 places adaptées dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile. […] En les accueillant dans les centres de rétention, ces personnes ont pu immédiatement bénéficier d’un examen médical complet, des services d’un interprète, d’un accompagnement dans l’exercice de leurs droits et d’un hébergement adapté ». Celle-là, il faudra la resservir : si les potentats des républiques exotiques envoient aussi facilement leurs opposants en prison, gardez-vous d’y voir à mal : c’est tout simplement parce qu’ils manquent de place dans les hôtels ! Des déclarations qui ressemblent furieusement à un appel du pied pour obtenir un nouveau poste de ministre des Droits de l’Homme (mais dans un pays chaud).
Enfin, retour à la grande tradition gouvernementale : « un fait divers = une loi ». Après cet événement où l’administration était le contrevenant principal, le ministre a annoncé la nécessité d’un énième changement législatif en matière de droit des étrangers. L’objection est facile : avant de vouloir changer la loi, il faudrait commencer par la connaître, et l’appliquer.