Le préfet de Seine-et-Marne, mu par de hautes considérations d’ordre public, a pris le 13 novembre 2009 une de reconduite à la frontière d’une ressortissante roumaine. A première vue, rien de vraiment surprenant : en 2009, les Roumains ont fourni plus de 30% des quotas d’expulsés. En revanche, la motivation vaut son pesant de capotes.

Selon le représentant de l’Etat, si la jeune mère de 19 ans doit être éloignée du territoire où elle est présente depuis moins de trois mois, c’est parce qu’elle a été interpellée pour racolage actif. C’est un motif d’expulsion, ça ? Oui selon le préfet, car « Ce comportement sur le territoire est constitutif d’une menace pour l’ordre public en ce qu’il représente, d’une part, une atteinte à la sécurité puisque de nombreux véhicules ralentissent dangereusement quand ils passent à hauteur de la jeune femme, ce qui pourrait causer un accident sur un axe routier très roulant et, d’autre part, une atteinte à la salubrité, la présence de préservatifs et de mouchoirs souillés dénaturant le paysage forestier. »

Une prose pareille, comme dirais-je ? … Ca sent le vécu.

Saluons tout d’abord le courage du représentant de l’Etat, qui n’a pas cherché – ce serait trop facile – à jeter l’opprobre sur cette pauvre impure qu’un soir d’hiver, déesse famine a contraint à relever ses jupons en plein air (c’est de Charles Baudelaire, dont je préfère la prose). D’autres ont essayé avant lui, Tartuffe le premier, qui, tendant à Dorine son mouchoir, l’enjoignait de couvrir ce sein qu’il ne saurait voir, car par de pareils objets les âmes sont blessées, et cela fait venir de coupables pensées.

Au contraire, l’administration semble choisir de stigmatiser le comportement des consommateurs, qui freinent dangereusement sur la chaussée avant, et se débarrassent honteusement de leurs préservatifs et mouchoirs usagés après. Il faut dire, à la décharge des usagers qui dénaturent le paysage forestier, que lorsqu’ils vont au Bois de Boulogne, c’est rarement pour admirer les feuillages. Vous me direz : dans ce cas, pourquoi ne pas organiser des charters pour les clients ? Bonne question. Et d’un autre côté, lorsque l’Etat encourage les automobilistes à ralentir à l’approche des radars automatiques, ou fait campagne pour le port du préservatif, pas grand monde n’y trouve rien à redire.

Je ne dis pas que dans les préfectures, on passe plus de temps à regarder les chaines cryptées qu’à lire les grands arrêts de la jurisprudence administrative. Mais s’ils lisaient davantage le Chapus, ils que « le fait de se livrer à la prostitution depuis son arrivée en France ne suffit pas, en l’absence de circonstances particulières, à établir que sa présence sur le territoire est constitutive d’une menace pour l’ordre public ». Lesdites circonstances n’étant à l’évidence pas caractérisées par le comportement incivique des clients – et ne parlons pas de leur moralité.

Il n’est pas à exclure que les préoccupations de l’administration concernent en premier chef l’anonymat des usagers. Depuis que le conseiller d’un premier ministre UMP s’était fait interpeller à Paris en compagnie d’une prostituée roumaine âgée de 17 ans, munie d’un visa « touriste », ce plus vieux métier du monde, lorsqu’il est exercé par une jeune fille originaire des Balkans, n’a guère bonne presse. Mais finalement, tant que la police ne réalise pas d’examen ADN des préservatifs ramassés sur les axes routiers où péripatent les ressortissantes étrangères, l’ordre public français ne risque pas grand-chose.

Ce texte, intitulé ”  “, a été suivi d’un autre billet publié en 2014 : ”  “