Chère Madame,

Je m’adresse à vous en qualité d’avocat de Madame Basrije H. épouse B., de son mari Monsieur Veton B., et de leurs trois enfants Ardijan, Arbeta et Salja.

Je suis parfaitement conscient du caractère inhabituel voire déplacé d’une telle démarche, que je regrette d’avoir à effectuer. Je n’ai hélas plus de juge vers qui me tourner, mes clients ayant épuisé toutes les voies de recours que la loi leur réserve.

 

Mes clients, Roms originaires de Kosovo Polje (Kosovo), sont arrivés en France, le 30 décembre 2010, accompagnés de leurs enfants respectivement âgés de 10, 6 et 3 ans. Ils ont aussitôt déposé une demande d’asile à la préfecture du Puy-de-Dôme.

Le préfet de Clermont-Ferrand leur a refusé l’admission au séjour. Cela a eu pour conséquence de les priver du droit à un hébergement pendant toute la durée d’instruction de leur demande d’asile, qui est actuellement pendante devant la CNDA.

Ils se sont retrouvés à la rue. Une habitante de Clermont-Ferrand raconte dans quelles circonstances elle a fait leur connaissance : ” J’ai rencontré la famille B. à la fin du mois de juin dans le square où je promenais quotidiennement mon chien. J’ai compris qu’ils n’y passaient pas seulement leurs journées mais aussi leurs nuits. J’étais consternée que trois enfants dorment dehors en bas de chez moi. Je n’ai eu de cesse depuis ce jour d’alerter les collectivités, les associations, la mairie de Clermont-Ferrand, ainsi que toutes mes connaissances […] Mi juillet, la famille s’est installée avec soulagement à l’hôtel M***, j’appelais le 115 tous les trois jours pour renouveler leur hébergement, et tout s’est formidablement bien passé ! “…

Jusqu’au 10 août 2011.

 

Ce matin-là, des policiers, sur instruction du préfet, sont venus rafler les époux B. ainsi que deux autres familles roms hébergées dans le même hôtel. En raison semble-t-il d’un manque de places dans les estafettes de police, la famille B. a été laissé libre, échappant une première fois à l’expulsion.

Le préfet a consciencieusement poursuivi sa besogne, contactant dès le surlendemain 12 août 2011 l’ambassade de Serbie et le Bureau de l’éloignement, aux fins d’obtenir un laissez-passer consulaire et une réservation pour un vol à destination de Belgrade. Ces documents furent obtenus mardi 16 août 2011.

Mercredi 17 août 2011 à l’aube, les mêmes policiers sont revenus à l’hôtel M*** ” prendre en charge ” les époux B. Rien dans la loi française n’autorise les policiers à pénétrer dans le domicile de particuliers, hors le cas de flagrance, sans y être autorisé par un titre judiciaire ni avoir recueilli l’assentiment exprès de ses occupants. C’est pourtant ainsi qu’a procédé la police de Clermont-Ferrand, à quatre reprises ces quinze derniers jours. Il n’y a donc aucune raison que les habitudes évoluent de si tôt.

L’estafette qui transportait la famille B. a mis plus de dix heures pour atteindre le centre de rétention de Lesquin, situé de l’autre côté du pays. Dix heures sans manger, sans pouvoir téléphoner à leurs amis et leurs soutiens, sans rien connaître du sort qui les attendaient. Pendant toute la durée du trajet, qui peut prendre la journée entière, les étrangers sont privés de toute possibilité d’exercer leurs droits : c’est une des nouveautés introduites par la ” loi Besson ” du 16 juin 2011, votée par les seuls députés et sénateurs de la majorité présidentielle.

Vendredi 19 août 2011, le tribunal administratif a rejeté la requête en annulation des époux B. dirigée contre les arrêtés préfectoraux les obligeant à quitter le territoire, fixant la Serbie comme pays de destination, et les plaçant en rétention administrative. Cette décision sera frappée d’appel dès qu’elle aura été communiquée, mais jusqu’à ce que la Cour administrative statue, ce qui prendra plusieurs mois, le préfet aura les mains libres pour terminer ce qu’il a commencé.

Et vu l’acharnement déployé depuis dix jours, il serait étonnant qu’il renonce à son projet d’expulser vers la Serbie trois enfants en bas-âge, leur père dont on ne sait trop s’il est Serbe ou Kosovar – un Rom en tout cas -, et leur mère qui est enceinte.

 

J’en terminerai par là. Lors de son arrivée en France, en décembre 2010, Mme Basrije B. attendait un quatrième enfant, ce que l’administration préfectorale savait. Mais le 11 février 2011, Mme Basrije B. a été hospitalisée en urgence pendant trois jours dans le service de grossesse à haut risque du Centre hospitalier de Clermont-Ferrand. Elle y accouchait le 14 février 2011 d’une enfant de sexe féminin née sans vie. A quatre mois et demi de grossesse, elle venait de perdre son enfant. Faute d’interprète, les médecins n’ont pu lui expliquer les raisons de ce drame. Pour l’aider à entreprendre son travail de deuil, ils lui ont donné des photos du petit corps sans vie : elle les conserve précieusement avec elle. Aujourd’hui encore, elle se tient pour responsable de ce décès, qu’elle attribue à un stress qu’elle se reproche de n’avoir pas su gérer.

Heureusement, dès avril 2011, elle tombait à nouveau enceinte. Le corps médical, les associations et de simples particuliers veillaient sur elle, afin que cette nouvelle grossesse se déroule dans le calme, et avec un suivi adapté.

Lorsque les policiers se sont présentés à la porte des époux B., une première fois le jeudi 10 août 2011 et la seconde fois le mercredi 17 août 2011, Mme Basrije B. était enceinte de quatre mois et demi.

Le préfet du Puy-de-Dôme aurait pu tout annuler. Au contraire, il s’est obstiné à faire parcourir à Mme Basrije B. la moitié du pays en fourgonnette, puis pendant les jours suivants à faire plaider devant deux juridictions successives que la place de Mme Basrije B. était derrière des barreaux.

Le juge des libertés et de la détention ne l’a pas entendu ainsi. Aux termes d’une longue motivation, le magistrat a estimé qu'” il ressort de l’ensemble de ces éléments que le traitement subi par cette famille est inhumain et dégradant “.

Cette décision du juge civil, dont ni le parquet ni la préfecture n’ont fait appel, a conduit à la remise en liberté des époux B. Pendant quelques jours, ils jouiront d’un court répit. Puis la préfecture pourra légalement recommencer la procédure d’expulsion.

 

Durant leurs pérégrinations en France, Mme Basrije B., son mari et ses enfants n’auront pas souvent été traités avec respect, et quelquefois comme moins que des humains.

N’ayant plus de juge à qui m’adresser, j’en viens à vous demander d’intervenir afin qu’à tout le moins, jusqu’en décembre 2011, Mme Basrije B. soit assurée qu’elle pourra profiter de la paix que réclame son état.

Confiant dans l’accueil que vous réserverez à la présente, je vous prie d’agréer, Madame, l’expression de mes sentiments choisis.