La question s’adresse, une fois n’est pas coutume, aux policiers de la PAF (Police aux frontières).
Selon un procès-verbal établi par quatre agents assermentés, le 5 janvier 2010 à 14 heures, une interpellation a eu lieu sur la voie publique, précisément rue Jean Sans Peur à Lille. Requis par la préfecture, les quatre policiers « en patrouille dans le secteur » auraient formellement reconnu deux Afghans en situation irrégulière qui marchaient sur le trottoir : « les deux personnes correspondent en tous points à la photo que la préfecture nous a remis ». Les policiers décident donc de procéder au contrôle d’identité des deux individus en pleine rue : « Nos noms, qualités et cartes professionnelles exhibées, invitons ces derniers à nous décliner leur identité. » Les deux Afghans, démunis de documents leur permettant de circuler et séjourner sur le territoire national, sont donc arrêtés : « Interpellons les susnommés à quatorze heures rue Jean sans peur à Lille ».
Sauf que non.
Le lendemain, Nord-Eclair fait sa « une » sur l’arrestation des deux Afghans qui se seraient fait « piéger » en préfecture. Et raconte une toute autre histoire : l’arrestation n’aurait pas eu lieu dans la rue, mais dans les bureaux même de la préfecture.
Les deux Français qui accompagnaient les jeunes Afghans en préfecture sont formels : « Lorsque le service a ouvert, nous nous sommes présentés au bureau d’accueil. Rapidement on nous a appelés au bureau n°2 » ; « L’agent administratif m’a dit ‘ des agents vont venir les chercher pour les emmener au Centre de rétention à Lesquin ’. Aussitôt, 3 agents de la PAF en civil d’une trentaine d’années sont arrivés par la porte du fond du bureau […] K… et J… sont alors partis entourés des 3 agents de la PAF toujours par la porte du fond du bureau. »
A l’audience du Juge des libertés et de la détention, devant lequel est débattue la sincérité du procès-verbal d’interpellation, le représentant du préfet admet finalement que le contrôle d’identité par les policiers a bien été réalisé dans les locaux de la Préfecture du Nord.
Vous me direz : qu’est-ce que ça change ? Tout ! Les motifs du contrôle, la régularité de la procédure, le respect des libertés individuelles et de l’institution judiciaire. Expliquer à un juge qu’un policier a arrêté deux délinquants circulant ensemble sur la voie publique est une chose. Reconnaître qu’ils ont été interpellés la veille en pleine nuit à leurs domiciles respectifs en est une autre. Florence Cassez en sait quelque chose, pour avoir fait l’objet en 2005 d’un simulacre d’arrestation visant à transmettre aux journaux télévisés mexicains l’image d’une police exemplaire. La version made in France 2010 vaut-elle mieux ? En rédigeant des procès-verbaux très économes de sincérité, ce n’est pas la presse ou l’opinion publique qui est manipulée : c’est la justice qu’on assassine. Car la jurisprudence relative aux arrestations au guichet des préfectures est très tatillonne : mais en déplaçant le lieu de l’interpellation sur la voie publique, le procès-verbal de police prête moins le flanc à la critique, et donc au risque d’annulation de la procédure.
Le plus dérangeant, c’est qu’aucun juge n’aurait jamais du avoir à connaître de ce procès-verbal. « You return to Greece after tomorrow » leur a annoncé l’agent au guichet n°2 : les deux Afghans auraient donc dû être expulsés en moins de 48 heures, c’est-à-dire avant que le juge des libertés et de la détention soit saisi et puisse examiner la régularité de la procédure. L’expulsion du premier avait été empêchée le lendemain par la Cour européenne des droits de l’Homme, sur recours de la CIMADE ; et celle du second avait été retardée in extremis parce qu’il s’était volontairement blessé au moment d’être embarqué dans la fourgonnette à destination de l’aéroport.
La préfecture a parlé « d’attitude partiale qui dénature la réalité du droit et des faits »… mais c’était à propos du journal qui avait évoqué le « piège » tendu aux Afghans convoqués en préfecture. Quant à l’attitude des agents dont elle a requis les services et usé du procès-verbal, pas de commentaire. A cause de l’article 441-4 du Code pénal ?