Une fois n’est pas coutume, il ne sera pas ici question de plaidoirie, mais de débats. Et plus précisément, du Grand Débat sur l’Identité Nationale ®. Un sujet qui n’a, de prime abord, qu’un lointain rapport avec les comptes-rendus du tribunal des sans-papiers. Mais c’est quelqu’un qui m’a dit que cette discussion franco-française allait encore servir à remplir davantage les centres de rétention, et donc les audiences de reconduites à la frontière d’étrangers en situation irrégulière. C.Q.F.D.
In limine litis, il faudra se poser trois questions.
1) Peut-on débattre n’importe où, n’importe quand ?
C’est du n’importe quoi !
Tellement d’énormités ont été proférées ces dernières semaines que le plus dur a été d’en choisir une dans ce grand fatras. J’ai une prédilection de lycéen (terminale S) pour les propos de Christian Estrosi : « Qu’est-ce que ce débat sur l’identité nationale a de si effrayant qu’on devrait éviter d’en parler ? Si à la veille du second conflit mondial, dans un temps où la crise économique envahissait tout, le peuple allemand avait entrepris de s’interroger sur ce qui fonde réellement l’identité allemande, héritière des Lumières, patrie de Goethe et du romantisme, alors peut-être aurions-nous évité l’atroce et douloureux naufrage de la civilisation européenne. »
La période choisie par l’orateur n’est pas n’importe laquelle. Christian Estrosi la situe après la crise boursière de 1929 et la crise financière de 1930, quelque part entre 1931 et 1941, en pleine crise économique : « dans un temps où la crise économique envahissait tout ». Et plus précisément : « à la veille du second conflit mondial ». Pas dix ans avant la seconde guerre, ni à la veille du Troisième Reich, ça non. Pile-poil avant 1939… Oui oui oui.
Bon, à votre avis, qui aux alentours de 1936 était en mesure d’organiser dans toute l’Allemagne un grand débat sur la nationale Identität ? Qui ? Albert Einstein ? Déjà parti. Karl Marx ? Déjà mort. Qui dans les rangs peut me citer quelqu’un d’autre que le chancelier allemand (voire son ministre de la kultur) pour organiser ce grand débat du peuple allemand dans toutes les präfektur et unter-präfektur ?
L’endroit choisi par Christian Estrosi n’est pas mal non plus : l’Allemagne du chancelier Adolf Hitler aurait donc eu besoin d’un grand débat. Certes. Mais la France du président Albert Lebrun, alors ? des nèfles ! Bref, si l’on suit la pensée lumineuse du conseiller politique de l’U.M.P., la France se trouve en 2009 dans une situation comparable à celle de l’Allemagne en 1936. Fallait oser. Tous les anars doivent être m.d.r. que l’U.M.P. leur pique leurs raccourcis favoris et leurs comparaisons douteuses.
2) Peut-on débattre n’importe comment ?
C’est bien parti, mais ce n’est pas gagné.
Le but d’un débat, c’est de parvenir à un résultat. Mais j’ai ma petite idée des conclusions auxquelles nous pouvons d’ores et déjà nous attendre. Car la personne qui donnera le résultat du Grand Débat sur l’Identité Nationale ® est la même que celle qui en a choisi le thème. Une question rhétorique en quelque sorte. Hé oui, le Ministère de l’Identité Nationale présentera la synthèse du débat qu’il organise sur l’Identité Nationale.
Un peu comme si à la fin des débats à la cour d’assises, les accusés se retiraient dans la salle des jurés pour délibérer eux-mêmes sur leur propre sort avant de rendre leur verdict. Procédé original, mais qui retire beaucoup de suspens.
Pour vous en convaincre, visitez le site internet gouvernemental, censé ouvrir la discussion à l’ensemble de la population. Dans son blog, notre confrère Pascal Cobert livre le récit hilarant de sa vaine tentative de contribution sur le web. Tous les messages rédigés par les internautes sont « modérés » (i.e. censurés) préalablement à leur publication, par de mystérieux anonymes, disposant des pleins pouvoirs pour apprécier ce qui est novlangue ou pas, et exerçant leur contrôle sans possibilité de contestation : non seulement les décisions de rejet des opinions divergentes ne sont pas motivées, mais elles ne sont même pas notifiées. Quant aux langues étrangères : verboten ! En bonne logique, les débats organisés dans les salles des fêtes des préfectures devraient s’inspirer de la méthode.
Woody Allen affirmait : « La dictature, c’est ferme ta gueule. La démocratie, c’est cause toujours. » Le débat sur l’identité nationale française promet de rendre honneur indistinctement aux deux régimes.
3) Peut-on débattre avec n’importe qui ?
Si vous disposez de bonnes protections auditives, pourquoi pas ?
Nul besoin d’avoir fait l’E.N.A. pour comprendre qu’une question identique adressée à un corpus identique recevra des réponses différentes en fonction de celui qui dirige les débats. Le résultat de la consultation ne sera pas le même si la discussion est menée par un professeur de philosophie, un truand notoire, ou une poupée Barbie dotée d’une synthèse vocale.
Autrement dit, pour reprendre l’audacieuse comparaison de Christian Estrosi, la consultation sur l’identité nationale française ne donnera certainement pas les mêmes résultats si elle est lancée par le maréchal Pétain ou par le général de Gaulle. En 2009, la question émane du porte-drapeaux (c’est un néologisme : normalement, on ne porte qu’un seul drapeau) Eric Besson, connu pour ses amitiés indéfectibles, ses prises de position inébranlables, ses affections durables, son parler vrai. Dans quelques années, lorsque des enfants vous demanderont de les aider pour leur dissertation d’instruction civique sur le thème « Qu’est-ce qu’être Français aujourd’hui ? », aurez-vous vraiment envie de leur dire : « Tu as de la chance, j’ai répondu en 2009 à la même question posée par Eric Besson » ?
C’est vrai que présenté comme cela…
Les conditions d’un débat sont-elles réunies ?
Non.
Mais pour ceux qui ne veulent pas débattre, il est toujours possible de signer la pétition.