Sur les centaines de milliers d’immigrants que compte la France, il s’est tout de même trouvé deux ressortissants indiens pour croire en la bonne parole d’Eric Besson. Même s’ils ont dû, eux aussi, rapidement déchanter. Récit.

Lors de la grande rafle du 22 septembre 2009 dans le Calaisis, le ministre de l’immigration avait proclamé sur tous les tons et dans tous les médias qu’il viendrait en aide à ceux qui souhaitent retourner dans leur pays de leur plein gré : « les reconduites forcées dans le Calaisis ne concernent que les étrangers qui n’acceptent pas le retour volontaire ». Et les journaux de largement diffuser la propagande ministérielle, en expliquant à qui voulait l’entendre le dispositif dit « du retour volontaire », consistant à offrir une aide financière de 2 000 €uros et un billet d’avion aux étrangers en situation irrégulière désireux de revenir dans leur pays.

Promesse prise pour argent comptant par deux ressortissants indiens, qui après des années de clandestinité, ne croient plus au rêve européen : « Nous sommes venus à Calais pour nous faire interpeller par la police, car nous voulons repartir en Inde, expliquent-ils d’une même voix aux policiers. Nous savons qu’il existe un retour volontaire pour la somme de 2 000 euros. Nous voulons retourner dans notre pays avec cette aide. » C’est très clair. Pour la préfecture, c’est une véritable aubaine : non seulement c’est la première fois que ces deux clandestins ont affaire aux autorités françaises, mais encore ils s’y sont rendus volontairement et… munis de leur passeport en cours de validité, précieux sésame permettant un retour immédiat dans leurs pays…

Mais c’était sans compter sur l’administration française.

Sans doute par mesure d’économie des (trente ?) deniers de l’Etat, le préfet ignorera superbement la demande des deux Indiens à bénéficier d’un retour volontaire, et choisira de les expulser manu militari. C’est la même chose, prime de départ en moins, rétention et escorte en plus. Pas joli-joli en terme de respect de la parole donnée, mais peut-être que cela fait plus propre sur les statistiques : allez savoir.

Hélas, les Indiens ne sont pas au bout de leurs surprises… L’Etat est menteur, l’Etat est pingre – cela n’a rien d’une découverte – mais l’Etat sait aussi se montrer à l’occasion parfaitement stupide. Car le préfet, confronté à cette situation inédite de deux Indiens qui souhaitent repartir de leur plein gré dans leur pays, décide, non pas de les renvoyer en Inde… mais en Slovaquie et en Angleterre !

Donc, nos deux Indiens, plutôt que repartir volontairement dans leur pays à l’autre bout du monde, vont être renvoyés à quelques centaines de kilomètres. Avec un peu de chance, ils reviendront quelques jours plus tard à Paris, où ils ont leurs attaches : au pire, ils y resteront (mais qui s’en soucie ?) ; au mieux, ils se referont pincer, et ce petit jeu pourra recommencer.

Un Indien ne cache pas son incompréhension devant le juge des libertés et de la détention : « Je suis venu à Calais car on m’avait donné une adresse pour faire une demande d’aide au retour au pays. Je cherche à repartir en Inde retrouver ma famille. J’en ai assez de devoir vivre dans la rue. Je ne pensais pas que ça se passerait comme ça »… Le magistrat français partage leur perplexité : « Ils souhaitent retourner dans leur pays. Il semblerait opportun d’envisager cette solution. »

N’ayant d’autre choix, les deux étrangers saisissent la justice afin de contraindre l’Etat français à les renvoyer chez eux. Effectivement, c’est plutôt space.

La justice administrative considère avec les deux Indiens que « la nationalité confère le droit pour la personne qui en dispose de solliciter la protection de son Etat et, par là-même le droit, s’il en a exprimé la volonté, d’y être renvoyé ». In extremis, l’administration se défendra en prétendant que les deux Indiens lui avaient caché leur intention de repartir chez eux. Argument balayé par le juge administratif, qui interdira l’expulsion vers l’Angleterre ou la Slovaquie, ayant constaté qu’« il ressort des pièces du dossier et notamment des procès-verbaux d’audition devant les forces de police que les intéressés, ressortissants indiens, avaient expressément et préalablement à l’intervention de cette décision demandé à être reconduits vers l’Inde ».

Voilà peut-être finalement l’explication à tout ce chahut kafkaïen : l’administration n’avait pas lu le dossier. Nous voilà rassurés !