Une petite expulsion pour le préfet de l’Aude, un grand bond pour la diplomatie française. Le 21 septembre 2009, depuis son bureau de Carcassonne, le représentant de l’Etat français paraphe une décision de routine qui résonne comme une déclaration de guerre pour Israël. Il vient d’ordonner « à l’ensemble des services de police et de gendarmerie » de reconduire un ressortissant palestinien à la frontière, et plus précisément… « en Palestine ou dans tout autre pays où il est légalement réadmissible ».

Difficulté vénielle : ce pays, la Palestine, que la communauté internationale s’est jusqu’alors refusée à reconnaître, n’existe pas… Le ministère des affaires étrangères risque maintenant d’avoir à fournir à l’Etat hébreu des explications emberlificotées quant à cette déclaration inamicale de l’Etat français, ou du moins d’un de ses représentants.

La référence à l’assistance des « services de police et de gendarmerie » afin d’exécuter l’arrêté d’expulsion ne sera pas non plus une douce musique aux oreilles d’Israël. Faute pour la Palestine de disposer d’un aéroport, celui de Jérusalem peut donc s’attendre à voir débarquer la maréchaussée tricolore chargée de reconduire manu militari le clandestin jusqu’à son « pays », dans la bande de Gaza. Ce qui ne sera pas une partie de plaisir pour l’escorte (ni pour l’escorté d’ailleurs) : le Palestinien a un casier judiciaire pour « séjour irrégulier » en Israël, où il est frappé d’une interdiction de séjour, et risque l’arrestation dès sa sortie de l’avion.

Le principal intéressé ne va probablement pas non plus adhérer totalement aux projets de la préfecture. Son épouse équatorienne, ses deux enfants (l’un espagnol, l’autre apatride) résident avec lui dans le pays de Cervantes ; il était en route pour la Suisse, et transitait par la France pour quelques heures ; interdit de séjour en Israël, menacé simultanément par le Hamas et le Fatah en Palestine, il a fait une demande d’asile en Europe. L’administration française, qui en a vu bien d’autres, n’en a cure, et s’obstinera jusqu’à la dernière minute à tenter de parvenir à ses fins : une expulsion de plus pour remplir les quotas.

Le Palestinien supplie la justice de le libérer de « ce traquenard ». Ce qui sera fait quelques jours plus tard par le juge administratif, qui sait lire une carte, examiner des documents et écouter les gens. Notez que les préfets partagent le même savoir. Mais ils savent aussi compter.