Au poste-frontière transmanche de Dunkerque, les autorités britanniques refoulent le conducteur d’un camion et son passager. Pris en charge par les policiers français, ils sont placés en garde à vue : le passager africain, pour séjour irrégulier et utilisation de documents appartenant à autrui, le chauffeur pour aide au séjour irrégulier. La routine. Mais en auditionnant le sans-papiers, les policiers n’en croient pas leurs oreilles.

« Vous vous rendez compte que vous impliquez la responsabilité du chauffeur ? », demande, incrédule, l’officier de police judiciaire qui l’interroge. Les informations fournies par le passager sont nombreuses, précises, étayées, et permettent de mettre en cause comme appartenant à un réseau de passeurs, outre le chauffeur routier, deux autres personnes clairement identifiées en Allemagne et en Angleterre. Confronté à ces déclarations, le chauffeur finira par passer aux aveux.

Finalement, cela tombe plutôt bien pour le passager africain. Quinze jours plus tôt, M. Eric Besson, nouveau ministre de l’immigration, a pris une circulaire en promettant de donner des papiers à ceux qui dénonceraient leurs passeurs : remise d’un récépissé pendant un délai de réflexion de 30 jours, puis si la personne accepte de collaborer avec les services de police, délivrance d’une carte de séjour temporaire de six mois renouvelable. M. Eric Besson avait terminé son discours à la préfecture de police par ce vibrant appel : « Je leur dis oui, abandonnez vos arrière-cours, et coopérez avec nous pour démanteler ces filières, vous serez bien accueillis, nous vous aiderons ! »

Le passager Africain est d’autant plus disposé à coopérer qu’il est las de trois ans de clandestinité et a misé ses derniers sous dans ce voyage. « Si j’y étais aidé, je pense que je serais prêt à repartir dans mon pays », conclut-il à la fin de son audition.

Il serait donc susceptible de bénéficier de deux dispositifs prévus par la Loi : admission au séjour pour les étrangers coopérant avec les autorités judiciaires, ou aide au retour pour les volontaires à un rapatriement dans leur pays d’origine.

Il ne bénéficiera d’aucun des deux… Les policiers ne l’informeront même pas de l’existence de ces deux dispositifs, préférant agiter la menace de « poursuites judiciaires » pour séjour irrégulier et usage de faux papiers.

Quant à l’administration préfectorale, sa décision sera prise en moins de vingt minutes : vous êtes reconduit dans votre pays, vous êtes reconduit directement dans votre pays, vous ne passez pas par la case «titre de séjour» et vous ne touchez pas vingt mille.

Finalement libéré par le Juge des libertés et de la détention pour un problème de procédure, l’Africain a prudemment choisi de replonger dans la clandestinité. D’après Le Canard Enchaîné du 25 février 2009, il aurait du être le premier bénéficiaire de la circulaire Besson…

Alors, que s’est-il passé ? La police de l’air et des frontières, le procureur et le préfet n’ont-ils pas cru un traître mot des promesses de M. Eric Besson ? Ou bien ont-ils préféré, après réflexion, faire comme d’habitude ? Quoi qu’ils aient pensé, il serait injuste de jeter la pierre à ceux qui considèrent avec circonspection les engagements pris, la main sur le coeur, par un ministre surnommé « trois deniers et un maroquin ».

Interrogé par La Voix du Nord du 4 mars 2009, le ministère de l’immigration, après bien des hésitations, a promis-juré à la journaliste qu’un titre de séjour attendaient l’Africain. Des papiers ? Et pourquoi pas un baiser du ministre, tant qu’on y est ?