La semaine du 3 novembre 2008, la belle région Nord accueille son nouveau préfet, M. Jean-Michel Bérard. Dès sa première interview, il agite bien haut le flambeau de l’immigration, grande cause nationale : “Nous continuerons à appliquer les mesures qui sont aujourd’hui mises en oeuvre pour empêcher le passage à travers la Manche et pour procéder aux reconduites à la frontière.” Afin d’éviter tout impair, le service “étrangers” de la préfecture mitonne aux petits oignons de nouveaux “arrêtés portant délégation de signature” (des documents autorisant ses subordonnés à signer à sa place les décisions concernant les sans-papiers, afin de lui éviter la crampe de l’écrivain).

Baptême du feu le 5 novembre 2008, où le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) de Lille est saisi de trois requêtes signées par le délégué du préfet. Petit problème : si la délégation est toute neuve, le tampon du délégataire est très vieux (l’usure, sans doute…) Le JLD ne peut que constater que les mentions identifiant l’auteur de la requête sont illisibles, et déclarer la requête irrecevable. A midi, les trois retenus repartent vers le Centre de rétention administrative de Lesquin pour y être libérés. Grosse boulette.

Coup de théâtre pendant la pause du midi. Le service “étrangers”, furieux, en saute son déjeuner, mais ressaisit à nouveau le même JLD d’une nouvelle demande (corrigée) de prolongation pour les trois ex-libérés. Nouvelle convocation du même juge, pour une audience dans l’après-midi. Les retenus n’ont pas eu le temps d’être libérés, et sont ramenés sous escorte.

Et c’est là que ça devient intéressant.

L’administration, fine civiliste, invoque dans sa nouvelle requête l’, lequel prévoit que l’irrecevabilité peut être écartée “si la cause a disparu au moment où le juge statue.

Mais les retenus font valoir que si l’irrecevabilité pouvait effectivement être couverte jusqu’au délibéré rendu à l’heure du déjeuner (voire devant le Premier Président si un appel avait été interjeté), ce texte ne trouve plus à s’appliquer dans le cadre de la nouvelle instance, engagée l’après-midi. Et les trois étrangers d’invoquer l’autorité de chose jugée attachée à l’ordonnance du matin, qui s’oppose à ce que le JLD statue à nouveau dans le cadre d’un litige ayant triple identité de cause, d’objet, et de parties.

Dans la soirée, avec une motivation imparable, le JLD rend trois ordonnances d’irrecevabilité. Les trois retenus sont à nouveau libres, pour la seconde fois de la journée.

C’est ce qu’on appelle, en langage juridique, une grosse branlée.

Et bienvenue au camarade Bérard.