PROLOGUE L’histoire commence quelque part de l’autre côté de la frontière, où les policiers belges arrêtent une ressortissante africaine en séjour irrégulier. L’intéressée ayant séjourné en France ces quatre dernières années et y résidant toujours, une demande de réadmission est adressée à Paris. Le ministère de l’intérieur français accepte la reprise en charge, avec dans l’idée de pouvoir enfin exécuter une vieille décision de reconduite à la frontière prise à l’encontre de l’Africaine. D’autant que les policiers belges se proposent aimablement de lui remettre, en plus du paquet menotté, un joli papier d’emballage : le passeport de la jeune fille, qui permettra à la Police aux frontières de la réexpédier dans son pays d’origine en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « quota ».
PREMIER ACTE Alors que la demoiselle africaine est en rétention en Belgique, son fiancé parisien, totalement désemparé, s’adresse à une officine privée ayant pignon sur rue, une SARL de « consultants » qui fait profession d’aider les chefs d’entreprises en n’importe quelle matière. « Pourriez-vous obtenir la remise en liberté de ma compagne ? », s’enquiert le fiancé crédule. « Non seulement nous le pouvons, mais en plus nous lui obtiendrons des papiers et une autorisation de travail, répond gravement le gérant. Signez ici. » Et l’amoureux éperdu de gratitude de parapher une « lettre de mission » de dix lignes qui “mandate la société afin d’obtenir une carte de séjour avec l’autorisation de travail” pour la demoiselle, moyennant « des honoraires ” de… 4 000 Euros, la moitié payable d’avance. En gros caractères, le gérant a veillé à préciser : « LA SOCIETE NE REMBOURSERA PAS L’AVANCE RECUE ».
Ce n’est pas un contrat, c’est une arnaque. Aucun juriste sérieux et responsable ne promettra jamais d’obtenir un premier titre de séjour et une autorisation de travail à une étrangère vivant en France depuis moins de cinq ans, célibataire sans enfant, sans diplôme ni perspective d’embauche, qui a déjà essuyé deux refus de séjour, et qui est en rétention à l’étranger dans l’attente de son expulsion. Monnayer de telles promesses, c’est vendre à prix d’or de sordides illusions. Mais l’escroquerie a fonctionné : le but n’était pas d’obtenir d’inaccessibles papiers moyennant 4 000 Euros, mais bien de se faire verser une provision de 2 000 Euros non remboursable.
Trois semaines plus tard, sans que la SARL ait engagé la moindre démarche entretemps, la jeune fille est conduite à la frontière française dans une camionnette de police belge et sur son petit nuage. Dans son esprit, son fiancé s’est occupé de tout, un « avocat de la société » va venir la libérer, pour l’emmener, sur son cheval blanc, auprès de son promis où ils couleront paisibles des jours heureux dans la capitale de l’Amour. Mais lorsqu’elle est emmenée sous escorte à l’audience du Juge des libertés et de la détention, pas d’avocat parisien, pas de société anonyme, pas de cheval blanc. Elle se voit donc désigner in extremis un avocat commis d’office. Un « avocat gratuit », ou plus exactement payé par l’Etat, vous voyez le genre…
L’étrangère toise avec amusement le permanencier, l’assurant avec un sourire paisible qu’elle n’a aucune inquiétude puisque la SARL l’a assurée s’occuper de tout. Toujours est-il que le besogneux avocat commis d’office, au terme d’une plaidoirie nébuleuse, obtient sa remise en liberté.
SECOND ACTE Eviter l’expulsion lorsqu’on est une Africaine en possession d’un passeport en cours de validité, cela relève du haut fait d’armes. Obtenir des papiers dans sa situation, c’est une mission impossible, que s’est pourtant engagée à remplir la fameuse SARL.
Pour ce faire, la société téléphone à l’association Cimade afin de se faire expliquer la marche à suivre. Mais malgré des explications laborieuses, le gérant de la SARL, qui n’est déjà pas un modèle de vertu, reste totalement hermétique au droit et à la procédure (choses qui sont parfois liées). Résultat, l’homme d’affaires forme un recours totalement irrecevable contre ce qu’il pense être une décision notifiée « oralement », croyant savoir que sa cliente se trouverait au sein du tribunal administratif avant même d’y avoir introduit sa requête (il a confondu les juridictions…), excipant de la lettre de mission du fiancé au lieu de justifier d’un pouvoir de l’intéressée… Bref, avec l’aplomb des débutants, il fait du droit comme Monsieur Jourdain disait de la prose : avec désinvolture.
L’argumentaire du gérant de société est à l’avenant : dans son recours, il glose avec véhémence sur l’atteinte qui aurait été portée par le préfet du Nord au droit… du préfet de Paris à examiner la future demande de séjour de l’Africaine : en effet, en raison de la décision critiquée, « l’étrangère est empêchée de se déplacer en préfecture pour déposer son dossier »…
Sans mot dire, l’avocat commis d’office a lui aussi saisi le même tribunal administratif d’un autre recours. En l’absence de sa cliente, repartie dans la capitale, il plaide le lendemain devant la juridiction un point de droit suffisamment pertinent pour que soit annulé l’arrêté contesté, et que le préfet se voit enjoint de délivrer à l’étrangère des papiers provisoires et de réexaminer son droit au séjour dans un délai de deux mois.
EPILOGUE ET MORALITE Par téléphone, l’Africaine a appris l’heureux dénouement de la bouche de son avocat commis d’office. Elle ne l’a plus jamais contacté par la suite. Aux dernières nouvelles, la SARL continue à prodiguer de couteux et inutiles conseils. L’avocat continue à libérer des gens gratuitement.