A l’origine, les centres de rétention et autres zones d’attentes aéroportuaires étaient simplement destinés à « retenir » les étrangers en situation irrégulière, le temps de les éloigner du territoire. Aujourd’hui, grâce à l’imagination sans borne de la police sans aux frontières (PAF), ils ont été transformés en énormes attrape-souris. Avec l’étranger dans le rôle du fromage, et l’avocat dans celui de la souris.

 

Lorsqu’il se présente, ce mardi 23 avril 2013, à l’entrée de la zone d’attente de Roissy numéro 3 (ZAPI 3), afin de visiter un étranger qui s’est vu refuser l’entrée en France, l’avocat Maître Bruno V. connaît la routine. Après avoir annoncé sa qualité à l’interphone, il entre dans le sas qui se referme derrière lui : il ne pourra plus en ressortir avant d’avoir montré épitoge blanche. La minuscule fenêtre de communication avec la salle de garde de la PAF s’ouvre, et une main anonyme lui remet un questionnaire à remplir.

Le formulaire est pratiquement le même pour tous les visiteurs, qu’ils soient avocat, ambassadeur, parent, ami… En plus de renseigner son état-civil complet (nom, prénom, date et lieu de naissance, nationalité), l’avocat doit présenter un document d’identité et sa carte professionnelle. Le guichetier de la PAF s’empare du tout, referme hermétiquement la minuscule fenêtre… et il n’y a plus qu’à patienter. Généralement, de longues minutes. « Mais qu’est-ce qu’ils peuvent bien ficher pendant tout ce temps ? », se demandent souvent les avocats (et les visiteurs). Ce jour-là, Maître Bruno V. va enfin le découvrir.

Après un bon quart d’heure d’attente, la porte du bureau de la PAF s’ouvre enfin. Un gradé en sort tout penaud : « Maître, on a un problème : nous n’avons pas trouvé trace de votre client. » L’avocat se fait rassurant : l’étranger est sûrement répertorié sous son alias. Soulagement du policier, qui lui demande de corriger son formulaire… et le restitue à l’avocat : grave erreur ! Car sur la fiche qui vient de lui être retournée – et qu’il s’empresse de prendre en  – Maître Bruno V. découvre une inscription ajoutée manuscritement à l’encre bleue : « FPR – »

 

Pour qui est familier des procédures pénales, le sens de ces trois lettres est limpide : « Fichier des Personnes Recherchées Négatif ». La police aux frontières de Roissy, avant de le laisser rencontrer son client, a vérifié si l’avocat faisait l’objet d’un signalement au Fichier des Personnes Recherchées (FPR).

« Monsieur le policier, vous m’avez passé au FPR ? » s’enquiert l’avocat au gradé de la PAF. Sans y voir malice, l’officier confirme : « Ben OUI [sourire]. Ce sont les consignes. ». Et d’ajouter, tout aussi ingénument : « En plus, si vous aviez été un avocat étranger : on vous aurait passé au FNE ! [Fichier National des Etrangers : ]. Il faut dire qu’à Bobigny, y’en a qui sont pas tous Français. » [re-sourire].

Le fichier des personnes recherchées (FPR) constitue l’un des plus anciens et des plus volumineux fichiers utilisés par la police. Créé en 1969, il regroupe aujourd’hui près d’un demi-million de fiches de personnes surveillées par la justice, la police, l’administration préfectorale ou fiscale : suspects dans des enquêtes en cours, évadés, déserteurs, aliénés, clandestins, mineurs en fugue, personnes disparues, débiteurs du Trésor public, interdits de stade… L’ du décret n°2010-569 relatif au FPR n’énumère pas moins de vingt-deux catégories de citoyens susceptibles d’y être inscrits. L’ prévoit d’y faire figurer l’état civil, le signalement et la photographie, le motif des recherches, et la conduite à tenir en cas de découverte : interpeller, procéder à une saisie, ou simplement informer le service concerné que l’individu vient d’être contrôlé.

Toute l’astuce, à la ZAPI de Roissy, est que l’interrogation du FPR est réalisée dans le plus grand secret. C’est invisible, mais tout aussi efficace qu’un classique contrôle d’identité, lequel est strictement réglementé par les articles 78-2, 78-2-1, 78-2-2 CPP et 611-1 CESEDA.

En ZAPI, la police aux frontières ne vérifie pas seulement que la personne qui se présente a bien la qualité d’avocat et qu’elle peut donc communiquer librement son client : elle interroge les différents fichiers afin de découvrir si, par le plus grand des bien-heureux hasards, elle ne pourrait pas l’empêcher de faire son travail.

Evidemment, si l’avocat de l’étranger est suspect, imaginez le genre de vérifications auxquelles sont soumis les membres de la famille, les simples visiteurs – voire les représentants consulaires.

 

Il s’agit d’une utilisation illégale de fichiers informatiques, plaide le lendemain Maître Bruno V. devant le (JLD) de Bobigny. Certes, l’ du décret n°2010-569 prévoit bien que l’accès au FPR est réservé aux policiers « dans le cadre de leurs attributions légales et pour les besoins exclusifs des missions qui leur sont confiées ». Mais la mission de surveiller des étrangers maintenus dans une zone d’attente n’implique pas de soumettre leurs visiteurs – spécialement leurs Conseils – à d’autres vérifications que celles prévues par les textes. Le de la ZAPI 3, seul applicable, ne prévoit d’ailleurs pas la moindre restriction à la visite des avocats : ni limitation horaire, ni fouille, ni vérification d’identité – ni passage aux fichiers.

Mais devant le même JLD, l’avocat de la préfecture soutient au contraire que les policiers étaient en droit, avant de permettre au Conseil de l’étranger de commencer à travailler, de procéder à son contrôle d’identité et de le passer aux fichiers. Ce qui en dit long, par parenthèse, sur le genre de sacrifices que certains avocats sont prêts à supporter pour avoir l’autorisation de travailler pour les préfectures.

A hauteur d’appel, la tranchera : le passage au FPR du Conseil de l’étranger constitue en effet une « entrave » à sa mission d’assistance.

 

Cela n’a rien à voir, mais l’ouverture de l’annexe du tribunal de grande instance de Bobigny, dans cette même zone d’attente de l’aéroport de Roissy, initialement prévue le 1er janvier 2014, par la ministre de la Justice. En cause, un qui l’avait alertée sur la nécessité d’y réaliser certains aménagements afin d’y préserver les apparences d’un procès équitable.

S’il est permis une suggestion : il faudrait prévoir que les avocats qui viendront plaider dans cette annexe de la ZAPI (exception faite des avocats des préfectures) s’y soumettent à quelques mesures de sécurité élémentaires : confiscation de leurs papiers, leur téléphone, ordinateur, ceinture et lacets ; fouille de leurs dossiers et photocopie des documents intéressants ; fouille à nu intégrale. S’ils n’ont rien à cacher, ils s’y plieront de bonne grâce.

Et mêmes mesures pour les magistrats : on n’est jamais trop prudent. Allez : TOUS À POIL ! – sauf, bien entendu, les policiers.