La question s’adresse cette fois aux gendarmes du Languedoc.
D’après les procès-verbaux rédigés par des agent et officier de police judiciaire, Madame K., une Algérienne de 43 ans, se serait présentée d’elle-même le 3 juin 2010 à 11h20 à la gendarmerie, « suite à une convocation de nos services » (sans autre précision). Elle aurait spontanément remis aux gendarmes son passeport algérien périmé. Ils auraient téléphoné à la préfecture, et après avoir eu confirmation de l’irrégularité de son séjour, ils l’auraient placée en garde à vue pour séjour irrégulier.
N’importe quoi !
L’intéressée rapporte que contrairement à ce qui a été écrit, les gendarmes se sont présentées à son domicile pour l’arrêter à la demande de la préfecture. Son passeport a été saisi chez elle, ainsi que tout son dossier administratif. Ils l’ont ensuite emmenée à l’Hôtel de Ville, afin de vérifier son dossier administratif. Puis direction la gendarmerie.
Confiée à la police aux frontières du Gard, elle sera gardée au poste jusqu’au lendemain 4 juin à 10 heures du matin, le temps strictement nécessaire… pour l’embarquer dans l’avion à destination de l’Algérie, qui décollait de Montpellier à 13h20. Si des juges un peu curieux – voire même des procureurs – se demandent pourquoi les gardes à vue d’étrangers en situation irrégulière durent aussi longtemps, et à quoi elles servent, voilà l’explication : il faut attendre l’avion.
Madame K. avait prévenu les gendarmes : « Si je retourne dans mon pays, je me suicide dès mon arrivée ». Avant d’être embarquée dans l’avion à destination de l’Algérie, elle n’a que l’expédient d’avaler son bracelet. Evanouissement de la dame, transport à l’hôpital par la police, nouvelle réservation d’un avion par la préfecture.
Samedi 5 juin au matin, second départ pour l’aéroport de Montpellier. Elle n’a toujours pas été présentée à un juge. La Cour de cassation, dans son immense sagesse, a estimé que le juge judiciaire, jusqu’à sa saisine par l’administration (après 48 heures de rétention, auxquelles s’ajoutent 24 voire 48 heures de garde à vue), doit rester dans l’ignorance la plus complète du sort de l’étranger. Pas vu, pas pris : c’est le jeu favori de l’administration, qui cherche à réussir son expulsion en moins de deux jours (trois en comptant la garde à vue). Pratiquement trois jours d’impunité, sans aucun magistrat pour contrôler la procédure et le respect des droits de l’étranger : un bonheur de préfecture !
En arrivant sur la passerelle, l’Algérienne refuse l’embarquement. Elle sait qu’elle risque trois ans de prison, mais n’en a cure. Retour au centre de rétention.
La préfecture se résout à saisir le Juge des libertés et de la détention d’une demande de prolongation de la rétention. L’administration n’a pas d’autre choix : les quarante-huit heures avec zéro contrôle vont expirer bientôt. Et dimanche 6 juin 2010, lors de l’audience devant le juge des libertés et de la détention de Nîmes, la fête au grand n’importe quoi est terminée.
Le magistrat examine tout d’abord la régularité de l’interpellation de la ressortissante algérienne. Les gendarmes parlent d’une prétendue convocation de l’intéressée à la gendarmerie, mais celle-là n’est pas produite. En revanche, figure dans le dossier un courrier de la préfecture, dénonçant aux gendarmes la situation irrégulière de Madame K., communiquant son l’adresse, et requérant la maréchaussée afin « de vérifier à l’adresse indiquée la présence de cette personne, et le cas échéant de mettre à exécution la décision en l’invitant à vous suivre ».
Pour ne rien arranger, le maire de la commune, chez qui les pandores sont passés avec la dame le 3 juin au matin, est venu témoigner à l’audience devant le juge des libertés et de la détention. Un voisin avait également été témoin, depuis ses fenêtres, de l’interpellation qui s’était bel et bien déroulée au domicile de Madame K., et non dans une gendarmerie située dix kilomètres plus loin.
« Les conditions de l’interpellation de l’intéressée ne sont pas établies avec certitude, et apparaissent à tout le moins déloyales », tranchera le Juge des libertés et de la détention, ordonnant sa remise en liberté.
Madame K. est revenue à sa maison retrouver son mari. Jusqu’à la prochaine bavure.