Le 31 décembre 2013, sur l’ensemble des trottoirs nationaux, les douze coups de minuit pourraient bien sonner la fin de la chasse aux filles de l’Est. Voilà sept années que les préfectures de France s’acharnent à décourager les bitumeuses roumaines et bulgares de venir faire fumer le macadam dans l’hexagone. Mais à partir du 1er janvier 2014, avec la fin des « mesures transitoires » imposées à ces pays, les tricornes et les rosettes seront d’avantage à la peine pour courser les piétonnières. Explication de textes.

Et tout d’abord, petite précision à l’attention des incultes et autres vicieux qui nous lisent par milliers : les «  », cela consiste en des restrictions légales à la libre circulation des travailleurs dans l’Union européenne ; ce n’est aucunement une expression imagée pour désigner une passe entre deux rapports avec sa régulière… Car ceci est un blog juridique (dignité, probité, délicatesse). Quant aux lecteurs qui trébucheraient sur le vocabulaire non-juridique de ce billet, il pourront utilement se reporter au de Pierre Perret (gaudriole, truculence, et polissonnerie).

 

Dans les années qui ont suivi l’entrée de la Roumanie et la Bulgarie dans l’Union européenne (1er janvier 2007), l’administration française, fidèle à ses traditions, a prononcé des arrêtés de reconduite à la frontière sans queue ni tête. L’une de ses trouvailles fût de prétendre que les péripatéticiennes originaires de ces pays, en tortillant du popotin (contravention de racolage : ), troublaient gravement l’ordre public (). Dès lors, après chaque « fête à nanas » (i.e. : rafle), la préfectorale ordonnait d’expulser les contrevenantes afin de mettre leurs miches en veilleuse, sans leur laisser le temps de remballer leur outils (départ sans délai : ) ni leur donner un petit cadeau (pas de versement de la prime de 300€ d’ : ). La méthode, totalement illégale, a déjà été décrite dans un . Au mieux, les pileuses de bitume saisissaient la juridiction administrative, qui annulait la décision ; au pire, les cavettes, crevettes et autres briquettes se résignaient à repartir pour Bucarest ou Sofia (et revenaient dès le lendemain faire zag-zag à Paris).

 

Ces dernières années, la préfectorale a amélioré la combine, faisant preuve d’une imagination juridico-policière non exempte de perversité administrative. Elle a finalement compris que si les filles de l’Est exerçaient le plus vieux métier du monde… cela impliquait qu’elles avaient un métier. Et dans un pays qui a inventé la bureaucratie, le centre de formalité des entreprises, et les formulaires Cerfa, une telle découverte ne pouvait qu’amener les fonctionnaires à se poser la question suivante : « La petite chérie s’est-elle déclarée comme travailleuse indépendante ? »

Le 7 octobre 2010, le préfet de Seine-Maritine décidait donc d’expulser Mme Emilia A., prostituée bulgare, qui venait d’être interpellée pour racolage sur la voie publique. Mais plutôt que d’invoquer comme à l’habitude un prétendu trouble à l’ordre public, l’administration française fut bien inspirée de lui reprocher de faire le truc… sans avoir demandé ni carte de séjour ( CESEDA) ni autorisation de travail ( et du Code du travail). Le préfet décida donc de reconnaître à Mme Emilia A. la qualité de travailleuse indépendante (c’est gentil), mais pour tout aussitôt l’inviter à repartir dans son pays exercer ses talents cachés (ça l’est déjà beaucoup moins).

Dans son , la cour administrative d’appel de Douai approuva le préfet, en se référant aux obligations qui pèsent sur les « ressortissants des Etats membres de l’Union européenne soumis à des mesures transitoires par leur traité d’adhésion ». Du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2013, lorsqu’une Roumaine ou une Bulgare souhaitait exercer une activité professionnelle en France, même horizontale, elle devait préalablement remplir de la paperasse. Avant de commencer le yoyo, Mme Emilia A., travailleuse du sexe de l’Est, était supposée établir une déclaration de début d’activité à l’URSSAF (Cerfa n°11768*01) ou une demande d’autorisation de travail à la DDTEFP (Cerfa n°13653*01, à remplir… par l’employeur). Elle devait ensuite compléter un de « Titre de séjour CE – toutes activités professionnelles », puis déposer un dossier en préfecture. Je vous laisse imaginer la tête des pièces justificatives, et celle du guichetier…

Non mais y en a, hein, y en a, j’te jure : mais où ont-ils été cherché tout ça !?!

 

La fin de la période transitoire imposée aux Roumains et Bulgares, le 31 décembre 2013 à minuit, mettra un terme à cette intéressante découverte administrative. Méfiance cependant : car au bout de trois mois de séjour en France, l’administration pourra menacer d’expulsion les citoyennes européennes dont l’activité ne procure pas des « ressources suffisantes » (). Alors gare aux mauvaises gagneuses : les Lorelei qui travaillent à l’amoureuse, qui font des passes sèches ou y vont carrément au béguin n’ont aucun avenir dans notre pays ! Sachez-le Mesdames : dorénavant, l’administration, pour continuer à faire ses propres chiffres, n’hésitera pas à venir relever vos compteurs.

 

Ce texte, intitulé ”  “, est le prolongement d’un précédent billet publié en 2010 : ” La P… irrespectueuse “