Le 17 avril 2014, l’opération « Soigner ou expulser » était lancée par le collectif d’associations ODSE. Elle visait à interpeller les ministres dits socialistes sur les drames humains qui se multipliaient en France : « Aucun gouvernement jusqu’ici n’avait enfermé et expulsé autant d’étrangers malades ». Dans leur tribune, les signataires accusaient l’administration de durcir les procédures d’octroi ou de renouvellement des titres de séjour pour soins, « en s’arrogeant des compétences normalement dévolues aux médecins, en évaluant eux-mêmes l’état de santé des personnes et l’existence de traitements dans le pays l’origine ». En 2014, afin de remplir les objectifs chiffrés d’expulsion fixés par le ministre de l’Intérieur, les préfets n’hésitent plus à « jouer au docteur ». Avec d’inégales fortunes.
Dans le cas de Madame Félicia A., l’administration ne contestait pas que cette ressortissante ghanéenne devait continuer à recevoir des soins, qui lui étaient dispensés depuis son arrivée en France en 2006. Atteinte d’une hypertension artérielle sévère, avec complication cardiaque, elle consultait régulièrement spécialistes et laboratoires afin d’adapter son traitement, à base de polythérapie médicamenteuse.
Pourtant, dans son dernier avis rendu le 6 juin 2013, et contrairement aux précédents, le médecin chef de la préfecture de police considérait que dorénavant, si l’état de santé de Mme Felicia A. nécessitait toujours « une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entrainer des conséquences d’une exceptionnelle gravité », elle pouvait cependant « bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine ». Par un arrêté en date du 3 janvier 2014, le préfet de police de Paris refusait de renouveler le titre de séjour de Madame Félicia A., et l’obliger à quitter le territoire dans un délai de 30 jours.
Protestations de l’étrangère, qui saisissait le tribunal administratif de Paris. Dans sa requête, elle expliquait, pièces à l’appui, qu’en cas de retour dans son pays, elle ne pourrait plus continuer à être soignée. Selon le certificat médical établi le 9 janvier 2014 par le chef du service de cardiologie de l’hôpital Beaujon : « A ma connaissance, ce traitement et sa surveillance ne peuvent être correctement effectués dans son pays d’origine ». Les laboratoires pharmaceutiques confirmaient que le MICARDIS et le NEVIBOLOL, qui lui étaient prescrits dans le cadre de sa polythérapie, n’étaient pas distribués au Ghana.
Face à ces éléments, le préfet de police avait une alternative. Ou bien reconnaître son erreur, abroger son arrêté et renouveler le titre de séjour pour soins de Madame Félicia A. – et risquer de se faire assommer par son ministre. Ou bien, faire ce que le Sganarelle de Molière fait de mieux : s’improviser médecin malgré lui.
SGANARELLE – Eh bien, Messieurs, oui, puisque vous le voulez, je suis médecin, je suis médecin ; apothicaire encore, si vous le trouvez bon. J’aime mieux consentir à tout que de me faire assommer. »
Ainsi donc, le 8 avril 2014, dans le cadre d’un « mémoire en réponse » envoyé au tribunal administratif, le préfet de police de Paris choisissait de prodiguer à Madame Félicia A. un savant galimatia de doctes considérations juridico-médicalo-comiques.
Premièrement, le préfet de police de Paris tient à indiquer que « Le Ghana dispose d’hôpitaux ».
Les juges administratifs étant susceptibles d’ignorer pareille information, la précision est d’importance.
Ensuite, et surtout : « Le MICARDIS peut être acheté sur internet sur le site PHARMACIE EN LIGNE »
Vous avez bien lu : « le site PHARMACIE EN LIGNE »… sans nom de domaine (du type “.com”)… et avec des espaces dans l’adresse URL.
Si un lecteur, aussi curieux que distrait, s’aventurait à taper une adresse similaire sur son navigateur web (par exemple : www.pharmacieenligne.gh), il tomberait inévitablement sur une erreur 404, lui signalant que « La page demandée n’a pas été trouvée ».
Ce qui n’empêche pas l’administration de prétendre que – nonobstant le fait qu’un tel site de vente en ligne n’existe pas – il est parfaitement loisible à un étranger malade de soigner n’importe quelle pathologie en surfant sur le Web. Car la préfecture sait bien que les prescriptions médicales, même celles délivrées sur ordonnance, sont universellement disponibles sur le Net.
COLUCHE – C’est nouveau, ça vient de sortir.
SGANARELLE – Nous avons changé tout cela, et nous faisons maintenant la médecine d’une méthode toute nouvelle.
Si le préfet de police de Paris, en se référant à l’achat de pilules sur l’Internet, fait état d’expériences personnelles, la chose serait passablement inquiétante. En effet, à l’heure actuelle, les seuls sites connus de pharmacies en ligne opérant au Ghana commercialisent des traitements des plus douteux. Pour l’essentiel, ils proposent du Viagra et d’autres substituts érectiles. Et il s’agit probablement de contrefaçons, puisqu’ils sont proposés en posologies « soft », « super active », voire « professionnelle ».