Dimanche dernier, l’avocat de permanence « droit des étrangers » n’est pas allé voter : d’astreinte au tribunal, il est arrivé très tôt pour préparer l’audience. Voici quelques années, lors d’un précédent scrutin dominical, un magistrat avait demandé à la cantonade si tout le monde avait bien rempli son devoir électoral. « Y’A INTERET ! avait lancé crânement l’avocat. Parce qu’il faut que ça change ». ÇA, c’était la haute pile de dossiers de sans-papiers que le magistrat devait examiner. Il y a deux ans, dès connus les résultats du second tour des présidentielles, le même avocat avait posté sur les réseaux sociaux un message frondeur : « Cause faillite probable, Vds bon prix cabinet spécial. droits des étrangers ». Mais quelques mois plus tard, il embauchait son premier collaborateur, et son entreprise de défense des sans-papiers n’avait jamais eu autant de travail.
Ce 23 mars 2014, le nombre de dossiers posés sur le bureau du juge n’a pas changé par rapport aux années précédentes, les représentants de l’administration sont les mêmes, les préfets sont identiques, la politique est pareille. Dans le langage gouvernemental, immigration continue de rimer avec répression – c’est une rime pauvre ; et la seule politique envisagée reste celle du chiffre – ce sont des mots discords. Depuis 2007, les résultats chiffrés diktent la « pensée » des dirigeants. Mais cette année, s’est félicité le ministre de l’Intérieur en présentant son bilan 2013, il s’agit d’une comptabilité « efficace », qui marque la fin « des artifices statistiques ». Finalement, depuis l’élection de François Hollande, il n’y a que la calculatrice qui se soit améliorée.
Lors des primaires du Parti Socialiste de 2011, Manuel Valls avait rallié derrière son nom un adhérent sur vingt, ce qui lui avait valu le surnom de « Monsieur 5% ». Depuis, il cherche plutôt à s’attirer les faveurs de l’opinion publique – comme la femme du même nom – en parlant d’immigration, avec les mêmes mots et les mêmes chiffres que ses prédécesseurs. Pour un homme politique, tenter de séduire l’électorat en faisant la chasse aux sans-papiers n’est clairement pas un signe d’intelligence aigüe. C’est comme courtiser une femme en l’emmenant voir un film porno. Ceux qui se livrent à ce genre de flirt électoral devraient consulter un bon psychiatre.
Le ministre de l’Intérieur, naturalisé Français en 1982, explique que son pays d’adoption ne peut pas accueillir toute la misère du monde, ni prendre courageusement sa part de malheurs, ni faire le bonheur de quelques-uns. Dans les prétoires, les avocats des étrangers lui ont trouvé un surnom : « le Don Quichotte de l’immigration ». En référence à ses origines ibériques, sa faculté à brasser de l’air ainsi qu’à suivre le sens du vent, et sa propension à laisser des ânes lui montrer le chemin.
Le problème avec la pensée unique, qui tient lieu de programme des ministres de l’immigration successifs, c’est qu’il y a rarement le moindre début de réflexion derrière. C’est – au mieux – la pensée d’un autre, c’est – le plus souvent – la négation de toute pensée. Tant mieux : le ministre de l’Intérieur actuel ne sait pas penser à grand-chose – et pas seulement en se rasant.
Cette année, « Monsieur 5% » se flatte d’avoir augmenté de 2% les éloignements forcés. Pour parvenir à ce résultat, il a dû arbitrer entre les droits des étrangers et ceux de l’administration – dans un sens que l’on devine. Depuis sa nomination, le ministre de l’Intérieur ne veille qu’à « sécuriser » les procédures d’éloignement. Quant à étendre les garanties qui protègent les sans-papiers, ou même les rétablir, ce n’est toujours pas d’actualité – bien que leur suppression ait été vigoureusement dénoncée par le Parti socialiste… lorsqu’il était dans l’opposition.
Dans les équations mathématiques des bureaucrates écervelés de la place Beauvau : Moins de droits des étrangers = Moins d’étrangers ; Plus de bavures lors des expulsions = Plus d’expulsions. Tout le reste ne serait qu’humanitairerie. Heureusement, dans les palais de justice, les magistrats de l’ordre judiciaire sont chargés de vérifier si les procédures d’éloignement des sans-papiers se sont déroulées régulièrement. Mais actuellement, deux tiers des étrangers ne rencontreront jamais ces juges avant d’être expulsés. Ceux qui comparaissent au tribunal ont bien de la chance : car ils doivent tous attendre six jours avant qu’un magistrat ne contrôle qu’aucune grosse bavure n’a pas été commise par l’administration – laquelle ne cherche qu’à respecter ses quotas. C’est la justice telle que l’a conçue Eric Besson, dans sa loi du 16 juin 2011. Et depuis le 6 mai 2012, rien n’a changé : c’est la même justice, telle que la conçoit Manuel Valls.
L’objectif pour 2014 pourrait bien être : 365 Leonarda ! Les gazettes vont adorer. Et un scandale par jour, ça ne devrait pas être une difficulté dans la France de Manuel Valls. Afin de s’y préparer, le ministre de l’Intérieur a publié le 11 mars 2014 une énième circulaire de lutte contre l’immigration irrégulière, dans la droite ligne de la Droite dure (0% d’humanité, 100% de fermeté). Les associations de défense des étrangers en ont aussitôt demandé l’abrogation, avec une belle unanimité qui rappelle les manifs antiracistes.
Sous François Mitterrand, chacun connaissait un chômeur dans son entourage, et nourrissait souvent pour lui de l’empathie. Sous François Hollande, chacun connait parmi ses proches un sans-papier – et lui souhaite tout le contraire de ce que lui prépare le gouvernement actuel.
Dimanche prochain non plus, l’avocat de permanence « droit des étrangers » n’ira pas voter. Il ne faudra pas s’étonner que lors de ces élections, les voix qu’a cherchées à attirer le ministre de l’Intérieur se tournent vers l’original plutôt que la copie. En revanche, il ne manquera dans les urnes ni de votes « white », ni de bulletins « blanco ».