” Vous avez pleurniché assez longtemps pour l’avoir, votre loi Besson. Vous l’avez, maintenant… Et bien, pleurez donc un bon coup ! ” Telle est l’exhorte lancée à la face des représentants du préfet, par les avocats défendant les étrangers, lors de la première audience ” 35 Bis-Besson ” qui s’est tenue ce week-end.

Depuis lundi 18 juillet 2011, le sort réservé aux étrangers en situation irrégulière s’est considérablement durci, avec l’entrée en vigueur de la ” loi Besson ” (surnommée ” loi de la honte “). Les honorables parlementaires et tout-pareils honorables sénateurs, soutenus par les tout-itou honorables conseillers constitutionnels, ont ficelé un texte qui réduit comme peau de chagrin le rôle du juge judiciaire. Après l’interpellation et le placement en rétention d’un sans-papiers, le juge des libertés et de la détention doit s’abstenir d’intervenir le plus longtemps possible (articles L552-1 et L552-7) ; et lorsqu’il peut enfin exercer son rôle de gardien de la liberté individuelle, il est censé en faire le moins possible (article L552-13) et surtout le plus vite possible (article R552-10).

Ce qui en dit long, par parenthèses, sur la frousse haute considération qu’inspire l’autorité judiciaire aux pouvoirs exécutif et législatif.

 

Première conséquence de la loi Besson (déjà analysée infra) : le juge judiciaire n’est plus saisi aux fins de contrôler la légalité de la procédure et le respect des droits de l’étranger avant l’expiration d’un délai de cinq jours.

Effet bis de la loi Besson : dès le premier jour de leur rétention, tous les retenus sans exception ont déposé une requête devant le président du tribunal administratif ou une demande d’asile devant l’OFPRA, deux mesures qui suspendent de facto et de jure l’exécution de la mesure d’éloignement, jusqu’à leur comparution devant le juge des libertés et de la détention.

Les délégués du préfet ont beau se pâmer, se retourner les sangs, se tordre les mains, en criant aux manoeuvres zabutives zet dilatoires. Stultus lex, sed lex (la loi est sotte, mais c’est la loi).

 

Deuxième conséquence de la loi Besson : le juge judiciaire, qui auparavant devait statuer sur la demande de prolongation de la rétention ” sans délai “, doit maintenant le faire ” dans les 24 heures de sa saisine ” (L552-1). Sur le papier, ça parait bien : la justice a l’habitude de gérer en moins de 24 heures les défèrements devant le procureur, les présentations devant le juge d’instruction, ou les comparutions immédiates devant le tribunal correctionnel.

Dans la réalité, ça donne plutôt ça. Le préfet qui a ordonné le placement de l’étranger adresse une requête écrite au juge des libertés et de la détention du lieu de rétention (R552-2 et R552-1). L’arrivée de cette requête, qui vaut saisine, déclenche le compte à rebours de 24 heures (R552-3). Une audience est fixée, à laquelle sont convoqués le préfet, l’escorte de police, le procureur, l’étranger, l’interprète et l’avocat le cas échéant (R552-5). Avant l’audience, le retenu et son avocat consultent le dossier (plus de 100 pages), et établissent des conclusions écrites (plus de 600 moyens recensés) (R552-7). Lors des débats, l’étranger est interrogé par le juge. Puis le représentant du préfet, l’avocat de l’étranger et le procureur sont entendus en leurs observations (R552-9).

Alors seulement, le juge peut rendre son ordonnance écrite (R552-10)… à condition d’être encore dans le délai de 24 heures à compter de sa saisine.

Que se passe-t-il lorsque le magistrat dépasse ce délai préfix, peu important d’ailleurs la raison (complexité de l’affaire, longueur des débats, nombre de dossiers, imprimante en panne) ? Le juge est alors automatiquement dessaisi : il ne peut plus se prononcer sur la prolongation de la rétention de l’étranger, qui est en conséquence remis en liberté.

Pour ses premières procédures ” 35 Bis-Besson “, le préfet a imprudemment envoyé ses trois dossiers vendredi matin à 10h25, 11h22 et 11h39. Lorsque l’audience de samedi matin prend fin, il est près de midi, et la messe est dite : aucune prolongation de rétention ne peut plus être ordonnée. Dans ses ordonnances qui rejettent toutes les requêtes du préfet, le juge des libertés explique : ” La convocation de l’intéressé à une audience du samedi 23 juillet à 10 heures ne permet pas de statuer dans le délai prévu par la loi “.

Ce n’est pas de notre faute ! proteste le représentant du préfet.

C’est la faute de vos députés. Et alors ? Faites-leur un procès ! se marre la défense.