Avertissement : Ce blog évoque des événements n’ayant jamais existé et des personnes totalement imaginaires. Si quelqu’un s’y reconnaissait, franchement, je n’en serais pas mécontent.
C’est un tout jeune avocat qui n’a jamais fait autre chose que défendre les intérêts de la préfecture. Et le plus souvent, de lui-même. Depuis qu’il a enfilé sa robe, l’apprenti-bavard se croit autorisé dans ses plaidoiries à faire tout et n’importe quoi, ainsi que son contraire : brasser de l’air lorsque l’adversaire s’en rapporte, donner des leçons de droit aux magistrats, d’honnêteté et de savoir-vivre à la terre entière… Lorsqu’il n’a vraiment rien à dire, il conteste à la barre les honoraires de ses confrères – ce qui est mal élevé – mais avec des accents de Georges Marchais – ce qui est ridicule.
La plus petite contradiction, la moindre contrariété, la protestation la plus mesurée le met dans tous ses états : « Comment ! Comment ?!? Si c’est comme cela, je vais retenir ma respiration jusqu’à ce qu’il arrive quelque chose ! » Comme Pépé Soupalognon y Crouton (l’adorable bambin dans Astérix en Hispanie), il s’est donc rapidement fait un nom dans la profession – le plus souvent accolé à un adjectif.
Persévérant, lui-même enrichit son vocabulaire au fil des audiences. Il a commencé sa carrière par un savant commentaire de l’« antépénultième » paragraphe d’un article du Code. Il l’a poursuivie en qualifiant les affirmations de ses adversaires de « billevesées », avant de susurrer le mot de « calembredaines ». Lorsqu’il a minaudé qu’il n’était lui-même qu’un « impétrant », tout le Barreau à frémi : l’honorable confrère venait de passer directement à la lettre « I » du dictionnaire.
Un beau jour, il a commencé sa plaidoirie, fier comme Artaban, déclamant : « J’ai vu de mes yeux, lors de mon arrivée au tribunal, un document qui dépassait du classeur de mon adversaire, et de nature à le confondre. Je ne me suis pas emparé de cette pièce, mais j’atteste qu’elle existe bien, et qu’elle se trouve – en ce moment même – quelque part dans l’enceinte de ce tribunal ! »
Coup d’œil circonspect du magistrat. Dieu merci, l’impétrant ne s’est pas autorisé à exhiber ce qu’il avait déniché dans les poubelles du tribunal, ou à citer les conversations qu’il avait surpris dans les toilettes pour dames… Et regard atterré de son confrère, qui songe à agiter au-dessus de la tête une enveloppe kraft, en prenant des poses gilbertcollardiennes : « J’ai, moi aussi, dans cette enveloppe, la preuve ir-ré-fu-table de la duplicité de Messire représentant le Préfet… Mais je me garderais bien de l’ouvrir ! »
Hélas, pas plus que les effets de manche ne font le grand avocat, le coup de théâtre (de Guignol) ne fait le bon comédien. Faute de pouvoir indéfiniment rouler du tambour et des mécaniques, notre apprenti-inquisiteur en est réduit à mettre en doute systématiquement et par le menu le moindre des arguments en faveur des sans-papiers. Jusqu’à l’absurde. D’après lui, les recours des étrangers ne sont que « des inepties », leurs témoignages constituent « des faux », et leurs demandes relèvent « de la plus totale inconscience ».
Tous menteurs, tous coupables. Sauf lui, évidemment. Lorsqu’il s’épanche sur l’épaule des jolies consoeurs ou des militantes à forte poitrine, en soupirant qu’après sa période d’apprentissage dans les rangs la préfecture, il passera in peto de l’autre côté de la barre pour défendre les sans-papiers, mieux vaut le croire sur parole (sinon, retour à la case ci-dessus).
Hélas, pour l’heure, les étrangers ne bénéficient pas encore de toute sa considération. Lorsqu’un sans-papiers eut fini d’expliquer qu’il allait épouser quelques jours plus tard une ressortissante française, que celle-ci était enceinte de sept mois de ses oeuvres, et que suite une grossesse pathologique, elle devait accoucher le mois suivant avec une assistance hospitalière, notre gynécologue de prétoire laissât tomber à l’adresse de la femme : « Une grossesse difficile ? Et alors ? Elle n’est pas à l’article de la mort, que je sache ? » Puis, en direction du futur mari : « Je n’ai aucunement la preuve que l’enfant soit de lui » (message répété 3 fois, et reçu 5 sur 5 par le futur père).
Au zinc d’un bistrot, ce genre de propos donnerait lieu à une mise au point à grands coups de poings. Dans un tribunal, c’est plus délicat – et c’est simplement dommage.
Imaginons un instant que la compagne de cet aimable confrère tombe enceinte. A quelle genre de félicitations ce remarquable plaideur doit-il s’attendre ?
[Intéressé] Et l’enfant est de qui ?
[Admiratif] La procréation sans copulation est décidemment une invention formidable !
[Paternaliste] Vous seriez bien avisé de l’appeler Oedipe, ou Brutus.
[Docte] Sans la moindre animosité ni esprit de chicane, je constate que vous ne rapportez pas la preuve que votre concubine, avant de vous connaître, n’ait jamais sucé d’ours – ni d’ailleurs qu’elle ait cessé depuis.
Voila, à peu près, les folles plaisanteries qu’un adversaire doué d’un peu de lettres et d’esprit serait autorisé à servir à ce jeune homme un peu court, et incapable d’articuler le quart de la moitié du commencement d’une.
Maintenant, si les préfectures se demandent pourquoi elles perdent autant de procès, la réponse est toute simple. Elles ne sont pas toujours représentées à l’audience : quelquefois, elles y sont caricaturées. Alors forcément, ça stimule la défense des sans-papiers.