Le chef du bureau des étrangers de la préfecture de Bourg-en-Bresse hésite entre se frotter les yeux ou les mains.

Ingénument, Mme Nora D. vient de frapper à la porte de son bureau, afin d’essayer de ” régler sa situation en France “. Six mois plus tôt, les mêmes services avaient pourtant refusé de lui renouveler son certificat de résidence. Cette ressortissante algérienne ayant quitté son mari de nationalité française, elle avait cessé de remplir la condition relative à la ” communauté de vie effective entre les époux ” prévue par l’accord franco-algérien. Pour Mme D., le choix avait été vite fait : entre risquer de perdre ses papiers ou continuer à prendre des coups, elle n’avait pas hésité longtemps. Sans contester la réalité des violences conjugales qu’elle avait subies, la préfecture lui avait objecté deux choses. D’une part, sa plainte contre son mari avait été ‘ classée sans suite ‘, il n’y avait donc eu ” aucune conséquence judiciaire “. D’autre part, ” les accords franco-algériens ne prévoient aucune disposition relative au maintien du séjour en France des ressortissants algériens victimes de violences conjugales ” [citation in-extenso de la prose délicate du secrétaire général de préfecture].

Dans la foulée, un arrêté obligeant Mme D. à quitter le territoire avait été pris. Et pour ne rien arranger, le tribunal administratif venait de rejeter le recours en annulation, rendant la décision d’éloignement exécutoire. A tout moment, la femme de trente ans pouvait être arrêtée et renvoyée dans son pays.

En résumé, au regard de sa situation administrative, se présenter en préfecture n’était guère plus raisonnable que de se jeter tête baissée dans la gueule du loup. Mais comme la chèvre de Monsieur Seguin, en ce petit matin de novembre, Mme D. n’avait pas l’intention de se laisser abattre. Bravache, elle commence par tenir tête au chef de service, hausse le ton, et pour finir, refuse catégoriquement de quitter la préfecture !

Deux policiers, appelés à l’hôtel du département pour une personne ” qui fait du scandale “, découvrent l’étrangère sans-papier tranquillement assise devant le bureau du chef du bureau. ” Il faut venir avec nous, ma p’tite dame “. Refus poli de Madame Sans-Gêne : elle est là pour faire avancer son dossier, elle n’en sortira que par la force des baïonnettes.

Qu’à cela ne tienne : ” Procédons à son menottage conformément à l’article 803 du CPP vu le refus de cette personne à nous suivre au commissariat “, note scrupuleusement le brigadier dans son carnet.

L’article précité prévoit : ” Nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s’il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite. ” Devant le juge des libertés et de la détention, elle soutient que ce menottage était irrégulier, et qu’en conséquence l’ensemble de la procédure s’en trouverait vicié. Le magistrat écarte l’objection, considérant que ” [son] refus de suivre les policiers librement faisait légitimement présager un risque de fuite “.

L’étrangère interjette appel : elle n’a jamais cherché à s’enfuir. C’est même tout le contraire !

Dans ses attendus, le premier président retiendra en effet que l’étrangère, ” invitée à quitter les locaux de l’hôtel du département où elle s’était rendue librement et spontanément, suite à son attitude revendicatrice, est demeurée sur place et a attendu l’arrivée des services de police ; ce qui démontre l’absence de toute intention de fuite de sa part “.

Faute au surplus pour les deux policiers d’avoir caractérisé une dangerosité particulière de cette frêle jeune femme, ils ne pouvaient l’entraver, ce qui constituait un ” acte illégal nécessairement contraignant “. Remise en liberté par le premier président, la jeune Algérienne a quitté la cour d’appel sans se faire prier.

Les textes pénaux sont dits ” d’interprétation stricte “. Si le législateur n’a pas prévu de faire figurer ‘ la résistance passive ‘ chère à Gandhi parmi les exceptions limitativement prévues à la règle fixée par l’article 803, il n’y pas lieu de l’y ajouter. Car si à chaque fois qu’une faible femme faisait mine de résister à l’administration, il fallait lui passer les menottes, le pays tout entier ressemblerait bien vite à un immense club sado-maso.