Les juges des libertés et de la détention soupirent parfois discrètement en finissant de lire les courriers que leur adresse l’administration, lorsqu’elle leur demande de prolonger la rétention administrative des étrangers. Jamais, de mémoire de magistrat lillois, un préfet n’a fini une de ses lettres avec une gentille formule de politesse ou un mot affectueux.
Mais sur ce coup-là, le préfet du Pas-de-Calais s’est vraiment surpassé.
Dans un courrier adressé au juge des libertés et de la détention de Lille, il a terminé sa missive en ” priant Monsieur le Juge d’agréer l’expression de sa considération distinguée “. Formule inusitée, et d’autant plus méritoire, venant d’un grand serviteur de l’Etat s’adressant à un magistrat.
A vrai dire, le bourgeois de Calais, qui est aussi gentilhomme, gratifie tous ses interlocuteurs des mêmes précautions langagières, afin de recommander à leur amicale attention une étrangère sans-papier. Le préfet a ainsi adressé un pli à l’ambassadeur du Congo en le ” remerciant de sa collaboration ” future : qu’il veuille bien délivrer au plus vite un laissez-passer consulaire afin d’expulser au plus tôt sa ressortissante. Le directeur du Centre de rétention administrative de Lille-Lesquin a quant à lui reçu une télécopie du représentant de l’Etat, l’informant que l’intéressée était transférée chez lui, afin de le ” remercier par avance de sa collaboration “, et le priant de veiller sur elle et de la surveiller.
Une troisième télécopie est partie au Juge des libertés et de la détention de Lille, pour l’aviser de l’arrivée prochaine de l’étrangère dans son ressort territorial, en lui souhaitant ” bonne réception de la présente ” (quoique s’agissant d’un fax, ça ne fait pas un pli)… et en le ” remerciant par avance de sa collaboration “. Oups !
Ce que la Préfecture vient de demander à la Justice, qui est prude, c’est rien moins que de ” collaborer ” avec ses services. ” Le juge des libertés et de la détention n’a rien d’un ‘ collaborateur ‘ du préfet “, proteste-t-on en salle d’audience.
Tout aussi cocasse (en tout cas, pour l’étrangère) : le préfet a pris sa plus belle plume pour rédiger sa requête de trois pages qui est adressée à l’attention de ” Monsieur le Juge des Libertés et de la Détention près le Tribunal de Grand Instance de “… ” Boulogne-sur-Mer “. L’audience est à Lille. Irrecevabilité de la requête. Libération de l’étrangère.
La prochaine fois, le préfet veillera à saisir le bon juge. Sans formule de politesse, vraisemblablement.