Le vieux couple afghan est bien fatigué. Ils ont quitté Kaboul voilà six mois, et après avoir échappé aux embûches semées sur leur parcours, ils ont à nouveau été arrêtés dans le port de Calais, aux portes de la terre promise : l’Angleterre. La famille regroupe : le père, un patriarche de soixante-trois ans affable et digne ; sa femme, le visage buriné par les épreuves et les chagrins ; et leurs deux filles âgées de 23 et 16 ans. Monsieur X., un grand gaillard de 17 ans, qui se trouve être le fiancé de la cadette, accompagne la petite famille.

Après vingt-quatre heures de garde à vue, le préfet du Pas-de-Calais décide de placer tout le monde en rétention, en vue de leur reconduite à la frontière. L’adolescente restera confiée à la garde de ses parents, et les suivra dans la zone « famille » du centre de rétention administrative de Lesquin. Pour Monsieur X, même mesure que pour sa jeune promise. Le préfet ainsi la situation : « Monsieur Z. a été interpellé alors qu’il était en compagnie de son épouse, Madame Z., sa fille Mademoiselle Z., née en 1987, son autre fille Mademoiselle Z., née en 1994, et son futur beau-fils, Monsieur X., né en 1993 ; ces deux derniers, mineurs, ont été placés au centre de rétention de Lesquin avec le reste de la famille afin qu’ils puissent être reconduits ».

Si vous avez des connaissances juridiques, vous objecterez qu’il est hors de question que Monsieur X., qui n’est qu’un tiers dans cette procédure de reconduite à la frontière, soit retenu sans droit ni titre dans un lieu privatif de liberté. Si vous n’en avez aucune, ou si vous représentez l’administration du Pas-de-Calais, vous émettrez quelques borborygmes piteux du genre : « Ben, c’est pas mieux comme ça ? »

Bien sûr que si, c’est beaucoup mieux comme cela ! Dorénavant, lorsque la petite amie d’un sans-papier voudra le rejoindre dans le centre de rétention où il est enfermé, le mieux pour elle sera de s’y présenter avec sa brosse à dents et sa chemise de nuit. Et au lieu de pleurnicher : « Libérez mon fiancé ! », de demander gentiment aux policiers de bien vouloir la conduire jusqu’à la chambre de son petit copain, et de leur piquer leurs menottes en refermant la porte derrière elle : « Permettez ? C’est mon tour d’attacher mon fiancé ! »

Retour au Droit, après cette parenthèse torride. Monsieur X, jeune Afghan de 17 ans voyageant sans ses parents, est ce qu’il convient d’appeler « un mineur isolé ». A ce titre, il ne peut faire l’objet d’autres mesures que celles décidées dans le cadre d’une procédure ad-hoc par un magistrat spécialisé (le juge pour enfants), ou du représentant légal désigné par ce dernier. En aucun cas, un étranger de moins de 18 ans ne peut être reconduit à la frontière ni subir la moindre mesure coercitive – notamment un placement en rétention -, sans permission expresse de la et motivée. En tout état de cause, le parquet mineur doit être informé de sa situation, afin d’être à même d’initier les mesures éducatives ou de protection de l’enfance qui s’imposent (hé oui, il n’y a pas que les appels suspensifs dans la vie d’un procureur…)

En choisissant d’enfermer pendant plusieurs jours un adolescent de 17 ans, le préfet vient d’inventer un nouveau concept susceptible de plaire en haut lieu : le placement d’un mineur en centre de rétention « pour raison humanitaire » (c’est ce qui a été plaidé par le représentant de l’administration devant le Juge des libertés et de la détention). Sauf que – et c’est regrettable -, la loi ne connaît pas de fait justificatif pour les rétentions illégitimes : ou c’est une voie de droit, ou c’est une voie de fait.

Finalement, le a libéré toute la famille, au visa notamment de la Convention internationale des droits de l’enfant. Le jeune fiancé est sorti du centre de rétention en même temps que sa promise.

C’est tout de même étrange que les préfectures et les juridictions aient des conceptions aussi diamétralement opposées du droit. Et des motifs humanitaires.