Après avoir lu la reproduite ci-dessus, une militante associative a laissé tomber : « On dirait une affiche du Front National ! » Tout d’abord, il ne faut plus dire « le Front National » : il faut dire « le Rassemblement National ». Ensuite, il ne faut plus dire « une affiche du Rassemblement National » : il faut maintenant dire : « une publicité du gouvernement français ».

 

Cette publicité paraît depuis plusieurs jours en pleine page de toutes les éditions du quotidien régional . S’agissant d’une communication institutionnelle, dans un journal à très forte diffusion, le coût est nécessairement astronomique : on peut l’ à environ 50.000 € pour chaque jour de parution, soit 600.000 € pour douze parutions. Evidemment, le gouvernement LREM n’aurait jamais eu l’idée de dépenser une telle somme pour accueillir et protéger les exilés vivants dans des conditions indignes. L’objectif est plutôt de s’offrir, aux frais du contribuable, une campagne de comm’ ; mais aussi de s’acheter, pour pas cher, une bonne conscience (*)

 

Ne dites plus « Anti-migrants » : dites « Programme gouvernemental »

Sur le littoral du Nord et du Pas-de-Calais, l’arrivée aux affaires d’Emmanuel Macron n’a rien changé au sort des exilés. Au contraire. Ils continuent donc de croire qu’ils n’ont pas d’autre choix que de rejoindre l’Angleterre, en risquant leur vie s’il le faut. C’est la seule solution qui leur reste pour échapper aux violences policières (mais le président de la République n’accepte pas ce mot), aux rafles (mais le ministre de l’Intérieur n’accepte pas ce mot), aux renvois vers des dictatures lointaines, des pays en état de guerre, ou des Etats européens où existent des défaillances systémiques (mais le préfet n’accepte pas ces mots).

Le principe de la Novlangue, que avait théorisé dans son roman d’anticipation 1984, ce n’est pas seulement d’appauvrir le langage en supprimant certains mots ; c’est aussi de permettre aux gouvernants de changer le sens et l’utilisation du vocabulaire. La liberté des exilés, c’est l’expulsion. La guerre aux migrants, c’est la paix en France. Les mensonges du gouvernement, c’est une vérité alternative.

 

Ne dites plus « Délateur » : dites « Bon citoyen »

Le , la très sarkozyste (et accessoirement maire de Calais) Natacha Bouchart avait appelé, sur les réseaux sociaux, ses concitoyens à dénoncer « les migrants » qui cherchaient à s’abriter dans des squats. Tout en reconnaissant avoir voulu « provoquer », la première magistrate affirmait à l’époque : « Ce n’est pas de la délation ».

Aujourd’hui, pour justifier sa publicité anti-migrants, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner pourrait reprendre le même discours… tout en jurant qu’il n’a aucune intention démagogique ni aucune arrière-pensée électoraliste.

 

Ne dites plus « Votez droite extrême » : dites « Aidez le gouvernement »

Le 3 septembre 2015, les petits Syriens et Galid avaient péri avec leur mère en Méditerranée. Le jour de l’enterrement, le très sarkozyste (et accessoirement Conseiller d’Etat) Arno Klarsfeld avait réagi sur  : « Personne ne dit que ce n’est pas raisonnable de partir de Turquie avec deux enfants en bas âge sur une mer agitée dans un frêle esquif ».

Le 24 juin 2019, un père et sa fille se sont noyés dans le Rio Grande, en tentant de franchir illégalement la frontière des Etats-Unis. Les photos des corps de la petite et de son père ont suscité dans le monde une émotion comparable à celle qui avait salué la disparition du petit Aylan.

Le même jour, Christophe Castaner a entamé une campagne de publicité à un demi-million d’Euros pour expliquer gentiment à ses lecteurs que « Traverser la Manche sur des embarcations inadaptées est périlleux ».

C’est le même politicien LREM qui, le 5 avril 2019, reprenant les propos de son alter ego d’extrême-droite Matteo Salvini, qui sauvent des vies en Méditerranée, en les traitant de « complices des passeurs ».

 

Ne dites plus « Exilés » : dites « Trafiquants », « Criminels », « Irresponsables »

La classe gouvernante française, après deux ans au pouvoir, a perdu toute capacité de compassion, de respect, d’indignation. Si demain, le même ministre de l’Intérieur finançait une nouvelle campagne de publicité, mais cette fois de l’autre côté de la Méditerranée, pour inciter la population locale à dénoncer les migrants qui cherchent à fuir la Libye en bateau, il n’est pas sûr qu’il se trouverait d’autres politiciens dans son parti pour le critiquer. Il faut dire qu’une telle opération ne coûterait pas cher : le texte de l’affiche est déjà prêt, il n’y a plus qu’à le traduire et à le distribuer aux miliciens. Ca aidera à sauver des vies.

 

(*) Notez que pour concevoir son opération publicitaire, le ministère de l’Intérieur a piqué le slogan de la dernière campagne de la  : « Aidez-nous à sauver des vies ! » Un hommage (sans bourse délier) du vice à la vertu.