Ce matin du 18 juin 2013, quelques centaines de milliers de lycéens ont passé, avec plus au moins de succès, les épreuves d’histoire-géographie du baccalauréat. Afin de remonter le moral de ceux qui pensent s’être pris un méchant râteau, qu’il soit permis de leur narrer comment l’an dernier, de très hauts fonctionnaires se sont eux aussi cassés le nez sur un sujet d’histoire-géo.

 

Le 13 juin 2012 à l’entrée du tunnel sous la Manche, la police aux frontières interpelle Monsieur A., un ressortissant indien sans-papier. Pour déterminer le pays vers lequel ils vont l’expulser, les services de la préfecture du Pas-de-Calais ont très probablement joué aux fléchettes avec une mappemonde : car ils décident finalement de le reconduire… vers la Norvège. Et les policiers d’expliquer à Monsieur A. : « Vous venez de là-bas (l’Inde, dont vous avez la nationalité). Et vous êtes passé par là (la Norvège : les autorités y ont pris vos empreintes). Maintenant vous êtes ici (la France). Et vous voulez aller là-bas (l’Angleterre). Donc, nous (la France) allons vous renvoyer là (en Norvège). »

Protestation de l’Indien : les autorités norvégiennes ne parlent que bøåñæl et mynørsk, les filles norvégiennes hibernent six mois de l’année et portent des peaux d’ours le reste du temps, et les réfugiés sont obligés de bouffer de l’élan bouilli. Un retour en Norvège frise le traitement inhumain et dégradant…

Explications posées de l’employé de préfecture : « Nous vous appliquons comme qui dirait la loi de l’enquiquinement maximum. Le , si vous préférez : “l’étranger peut être remis aux autorités compétentes en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats membres de l’Union européenne.” Puisque vos empreintes figurent au fichier Eurodac en tant que demandeur d’asile en Norvège, nous allons demander à cet Etat de vous reprendre en charge. »

L’étranger a beau traiter le préfet du Pas-de-Calais de tous les noms d’øiseåux, rien n’y fait. Il se retrouve placé dans un centre de rétention à Coquelles, dans l’attente de l’accord des autorités norvégiennes quant à la demande adressée par la France.

 

A tout hasard, il saisit la justice d’une demande d’annulation de l’arrêté de réadmission. Une décision préfectorale qu’un sans-papier défère à la censure du tribunal administratif, c’est comme une jolie fille qui croise la route de Jean-Claude Gus : sur un malentendu, ça peut marcherLes bronzés font du ski)… Il suffit juste de trouver le malentendu. Ou pour reprendre le jargon juridique : la « méconnaissance par l’administration de la portée des dispositions appliquées ».

Lors de l’audience, alors que le juge se propose de faire du droit et de compulser ouvrages et traités juridiques, l’Indien suggère plutôt de faire de la géographie et de suivre du doigt cartes et mappemondes. De ses observations à l’audience, le plumitif du greffier retiendra – à peu de choses près – ceci : « La Norvège, c’est loin, c’est froid, et c’est tellement nul que l’Union Européenne n’a pas voulu d’eux ». Le magistrat du tribunal administratif hoche pensivement la tête… et rend une décision qui donne raison à l’étranger ! L’arrêté préfectoral est annulé, l’Indien est remis en liberté.

Dans son , le juge explique pourquoi l’administration a commis une erreur de géographie de droit en décidant de le renvoyer en Norvège : « Le préfet du Pas-de-Calais a décidé, sur le fondement de l’article L.531-1 du Ceseda [relatif aux conventions conclues avec les Etats membres de l’Union européenne] de remettre le requérant aux autorités norvégiennes ; toutefois, ce pays n’étant pas un Etat membre de l’Union européenne, le préfet ne pouvait légalement se fonder sur ces dispositions. »

Ce récit va rassurer les futurs bacheliers qui ambitionnent de travailler dans l’administration, et qui viennent de se ramasser un zérø en histoire-géo : on peut parfaitement être nul dans ces matières et faire une brillante carrière dans la préfectorale.